Mais ne m’avouera-t-on point qu’il s’y prend bien mal pour nous persuader que la véritable dévotion le fait agir, lorsqu’il traite Monsieur de Molière de démon incarné, parce qu’il a fait des pièces galantes et qu’il n’emploie pas ce beau talent que la nature lui a donné à traduire la vie des saints Pères ? […] Mais changent-elles de nature ou de condition, lorsqu’on change de terme ou de ton pour en parler ? […] N'est-ce pas une preuve bien convaincante, et, quoiqu’il sache bien que, de quelque nature que soient les crimes que nous avons commis, nous devons toujours avoir de la confiance à la miséricorde de Dieu, et par conséquent ne désespérer jamais de notre salut, il soutient qu’il n’entrera jamais dans le paradis, parce qu’il a supposé des sacrilèges et des abominations dans son Festin de Pierre.
Mais je croy qu’on peut appeller de cette Loy, & que cela ne doit se regler que sur la nature des Sujets. […] Pour reüssir à cela, il faut autre chose que des preceptes : & il n’y a que la nature qui inspire plainement ses belles & heureuses pensées qui charment tout le monde. […] Ie veux croire que ce soit vne grace de la nature, mais un peu d’estude & d’aplication peut reparer ce que la naissance auroit laissé perdre. […] Il faut y sauver les inegalitez du lieu, les enormes espaces de la circonference : les disgraces de la nature, & les bizareries de la saison. Tous ces perils desirent de grands soins, beaucoup d’industrie, & nous avons veu, à Versailles & à Fontainebleau des Enchantemens contrefaits, où l’Art avoit surpassé la Nature, & ou la Nature avoit épuisé l’Art.
Je les considère ces divertissements mondains, dans leur nature, dans leur étendue, et dans leurs effets. Or je soutiens, comme vous l’allez voir, qu’ils sont presque tous, ou impurs et défendus dans leur nature, c’est la première partie ; ou excessifs dans leur étendue, c’est la seconde partie ; ou enfin scandaleux dans leurs effets, c’est la troisième et la dernière partie. […] Appellez vous amour honnête celui qui fait oublier à un homme les plus saints devoirs de la nature, de la patrie, de la justice, de l’honneur, de la charité ? […] Il faut donc en revenir à ma proposition, que la plupart des divertissements ordinaires du monde sont condamnables, ou parce que dans leur nature ils sont impurs et criminels, comme vous l’avez vu ; ou parce que dans leur étendue et leurs mesures ils sont excessifs, comme je vais vous le montrer. […] Mais si la loi des hommes n’a rien ordonné là-dessus, faut-il une autre loi que la loi de l’Evangile, que la loi de conscience, que la loi de nature ?
Le spectacle n’étant point mauvais de sa nature, la profession des acteurs et des actrices, quoique généralement dangereuse pour le salut, ne doit pas être regardée comme une profession absolument mauvaise : « Ludus, dit le Docteur angélique, est necessarius ad conversationem vitæ humanæ. […] Il en est, proportion gardée, de la danse comme du spectacle ; elle n’est point illicite de sa nature ; on ne peut donc la condamner d’une manière absolue, comme si elle était essentiellement mauvaise : « Choreæ, dit saint Alphonse de Liguori d’après saint Antonin, per se licitæ sunt, modo fiant a secularibus, cum personis honestis, et honesto modo, scilicet, non gesticulationibus inhonestis 13. » « Quando vero Sancti Patres eas interdum valde reprehendunt, loquuntur de choreis turpibus, aut earum abusu 14. » Saint François de Sales pensait comme saint Alphonse et comme saint Antonin.
Il ne s’éloigne pas moins de la vérité historique du costume que de la nature & du sentiment. […] On a voulu, dit-on, faire parler la nature. […] à faire entendre que toutes les Religieuses sont enfermées dans un couvent malgré elles, forcées par les passions, séduites par les Religieuses, trompées par les Prêtres, gémissant accablées sous le joug, sur-tour (car c’est là le grand vœu du libertinage), ne pouvant garder la continence : tant le Poëte (je ne sais s’il le sait par expérience) est persuadé qu’on ne peut se passer de volupté, & que personne ne peut se défendre de l’impérieux vœu de la nature. […] Oui, dans celle du temps : Laissez ces erreurs de l’esprit, écoutez votre cœur, consultez la nature. […] La nature sommeille, elle va s’animer.