Si vous êtes veuve, pendant que vous êtes en ces divertissements vous êtes absente de votre maison, et ne veillant pas sur vos domestiques, vos serviteurs se débauchent, vos filles ou vos servantes sont cajolées, vos affaires demeurent à l’abandon.
La cause est jugée par trois salles magnifiques, bâties par l’Etat, au nom & par ordre du Roi, une à Versailles & deux à Paris, dans les maisons de deux Princes du sang ; l’Opéra chez le Duc d’Orleans, la Comédie Françoise à l’Hôtel de Condé. […] Dans un siecle moins comédien le public verroit-il sans indignation une Actrice assez riche pour a^oir aux portes de Paris une maison de plaisance avec un vaste enclos & des bosquets, où l’on dresse un théatre, & donner de grands repas, une grande fête, bal, concert, comédie, comme pourroir faire une Princesse ? […] Des Actrices, après ces folies, devroient être envoyées aux petites maisons ; mais les Seigneurs, encore moins sages qu’elles, leur applaudissent. […] L’Empereur avoit sa troupe qui n’étoit que pour lui ; elle n’étoit composée que des enfans des plus grandes maisons de l’empire. […] Tel est l’état de la comédie aux Indes, à la Chine, au Japon ; les troupes se rendent dans les maisons, on les fait représenter comme on veut.
Je ne dis rien de la farce, dont le sujet, les gestes, les paroles, les rencontres sont toujours dans une effrontée lasciveté ; où les prostitutions, les rapts, les adultères, ces crimes qui noircissent les maisons, qui perdent les âmes, et offensent Dieu, passent pour des gentillesses, enfin où l’on pèche par les yeux et par les affections de tout un peuple. […] ils mettent le feu à la paille, pourquoi s’étonner si elle brûle ; La justice s’arme afin de punir les auteurs et les complices d’un enlèvement qui blesse l’honneur de quelque illustre famille, elle poursuit avec rigueur et avec toutes les notes d’infamie ces âmes perdues qui corrompent la pudicité des autres ; Néanmoins on permet que les Romans qui sont des bouches toujours ouvertes à persuader le mal, aient libre entrée dans les maisons, dans les cabinets pour y débaucher tous les esprits, pour leur inspirer des affections illicites, avec les moyens d’y réussir ; on punit le corrupteur d’une chasteté particulière, cependant on tolère, l’on agrée, on loue ces méchants livres qui sont les professeurs publics d’une passion, dont la fin est l’incontinence, le péché, le déshonneur, le désordre des familles et des Etats.
« Mourir sans tirer ma raison, Rechercher un trépas si mortel à ma gloire, Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison...
Il ne faut pas s'imaginer que ces méchantes maximes dont les Comédies sont pleines ne nuisent point; parce qu'on n'y va pas pour former ses sentiments, mais pour se divertir: car elles ne laissent pas de faire leurs impressions sans qu'on s'en aperçoive ; et un Gentilhomme sentira plus vivement un affront, et se portera plus facilement à s'en venger par la voie criminelle qui était ordinaire en France, lorsqu'il aura ouï réciter ces Vers: « Mourir sans tirer ma raison : Rechercher un trépas si mortel à ma gloire ; Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison; N'écoutons plus ce penser suborneur. » Et la raison en est que les passions ne s'excitent pas seulement par les objets, mais aussi par les fausses opinions dont l'esprit est prévenu.