De même qu’il est beau quelquefois d’attaquer avec une vertueuse liberté, des opinions et des préjugés qui ont pour eux l’autorité des temps et un vieux respect, fils de l’habitude ; de même que le résultat de ces attaques, inscrites dans les bornes de la modération et de la charité chrétienne, a souvent été la destruction de l’erreur et le triomphe de la vérité ; c’est ainsi qu’il est d’une importance égale, sinon plus grande encore, d’examiner avec les yeux de l’impartialité plusieurs des usages et des plaisirs de la société, que l’empire d’une longue indulgence semble avoir consacrés.
Les Romains, par des loix expresses, sans distinguer les pieces indécentes de celles qu’on dit châtiées, condamnoient généralement tous les Comédiens à l’infamie, & cependant non-seulement ils y assistoient, mais comme s’ils eussent conspiré contre la pudeur de leurs femmes & de leurs filles, ils leur laissoient la liberté de venir à ces pernicieuses écoles prendre des leçons de volupté de ces maîtres scandaleux, qu’ils avoient authentiquement chargés & déclarés dignes du mépris public. […] C’est d’un pôle à l’autre une nation commerçante très-achalandée ; mais selon le goût du pays il y a plus ou moins de liberté. […] Comparez une Actrice avec une Religieuse, & pour mieux sentir le contraste, imaginez une Religieuse sur le théatre au milieu des Actrices, une Actrice dans un chœur de Carmelites au milieu de la Communauté ; comparez cette guimpe, ce bandeau, ce voile, ce scapulaire, cette robe ; avec ce rouge, ces cheveux frisés, ces riches habits, ces parfums, ces pierreries, cette immodestie ; comparez ces yeux baissés, ces regards modestes, ce maintien honnête, ces démarches mesurées, cette voix douce & ferme, avec cette légèreté, ces transports, cette mollesse, ces langueurs, ces regards passionnés, ces yeux perçans, ces tons efféminés, ces attitudes séduisantes ; comparez leurs actions, leurs discours, le chœur où l’on chante les louanges de Dieu, le théatre où l’on célèbre la Déesse d’Amathonte, ces cellules où se pratiquent tant de mortifications, ces coulisses où se prennent tant de libertés, ces parloirs où l’on ne reçoit que des visites de charité ou de bienséance, ces loges où l’on donne des rendez-vous à ses amans, ces discours pieux où l’on ramène tout à Dieu, ces entretiens licencieux qui ne respirent que le plaisir, la débauche, la malignité, ces repas dissolus, ces soupers fins, poussez bien avant dans la nuit, cette vie sobre & frugale, austere même, où la loi du jeûne laisse à peine le nécessaire. […] Je suis persuadé que le corps des Fiacres aura bien-tôt les mêmes prérogatives ; il est vrai que comme à Paris le sexe a plus de liberté, on y a moins besoin de leurs services. […] L’esclavage du serrail est moins honteux que la liberté des Actrices.
Le but de celui-là est de subjuguer la triple concupiscence & de fermer toute avenue au vice dont elle est la source : le dessein de celle-ci est de l’affranchir de tout joug, & de lui donner toute liberté.
On rejette en partie sur les libertés et les indécences de l’ancien théâtre les invectives des Pères contre les représentations et les jeux scéniques.
En 1828, cet ouvrage a valu à Sénancour, une condamnation pour outrage à la liberté des cultes, voir Recueil général des lois et des arrêts fondé par J.B.