Vous auriez raison, si les démarches passionnées qui précedent les mariages du théâtre pouvoient être innocentes ; mais la galanterie en est le seul pivot, & cette galanterie est souvent très-licencieuse. […] Malgré toute la sagesse de leurs mesures, l’amour, inépuisable en ressources, rend les innocents plus adroits à tromper que les plus rusés ne le sont pour ne pas l’être.
Elles excitent en nous des mouvemens semblables à ceux qui tombent sous nos yeux ; & c’est-là le but des Acteurs : car la fin qu’ils se proposent, c’est de plaire à ceux qui les écoutent ; & pour leur plaire ils exposent des sentimens qui s’accordent avec la corruption de ceux à qui ils parlent : & comme ils parlent à des gens dont la plupart ont l’esprit perverti, & le cœur gâté, ils leur representent des emportemens violens, ou de vengeance, ou de jalousie, ou d’ambition : ils joignent à cela de pernicieuses maximes, capables de corrompre les ames les plus innocentes. […] Car peut-on se flatter de sortir innocent de ces assemblées, où tous les sens sont assiégez, & enyvrez de plaisirs, & où il est presque toujours d’une complaisance indispensable de manquer de modestie ?
Quelques injures que l’on puisse dire à un innocent, on craint de le défendre lorsque la religion y est mêlée : l’imposteur est toujours à couvert sous ce voile, l’innocent toujours opprimé et la vérité toujours cachée.
Le théatre fût-il aussi innocent que la chasse ou la péche, nous l’aurions bien-tôt dépeuplé, si on le réduisoit, comme S. […] 1. rapporte les noms & les ouvrages, qui s’associoient pour gagner leur vie, & faire la cour aux Seigneurs dont l’Europe étois remplie, alloient dans leurs châteaux chanter des vers à leur louange, & les divertir par leurs gentillesses, qu’ils animoient par leurs gestes à leur maniere, ce qui étoit bien innocent, & n’avoient aucun rapport à nos spectacles. […] Que dans une occasion involontaire & inévitable on compte sur la grace de Dieu, & on espère la victoire ; mais que sans nécessité, volontairement, pour son plaisir, contre les défenses de l’Eglise, l’autorité de tous les Pères, l’expérience de tout le monde, on se jette dans le péril le plus grand & le plus certain, on se croie en sûreté, on se dise innocent, on se flatte qu’il n’échappe ni désir, ni regard, ni parole, ni pensée contraire à la vertu, que la chair & les sens, le démon & le monde seront toujours vaincus, est-ce connoître le cœur humain, & se connoître soi-même ?
… j’ai peine à me l’avouer… j’ai porté dans une âme innocente, pure, le poison de la douleur… Monsieur, c’est assez que vous m’ayiez rendu malheureuse, sans associer à mes peines une victime, dont la vue me ferait mourir de honte.