J’aurois imaginé qu’après tout ce que votre mauvaise humeur vous a déjà suggeré contre les Comédiens, vous vous seriez lassé de les maltraiter. […] Vous n’imaginez pas comment, au milieu de toutes les occasions de manquer à l’honnêteté où elles sont exposées, il leur sera possible de rester honnêtes. […] Cette observation mérite certainement plus d’attention qu’on ne s’imagine. […] « Il me paroît plaisant d’imaginer quelquefois les jugemens que plusieurs porteront de mes gouts sur mes écrits. […] Vous imaginez-vous que votre livre auroit eu moins de poids quand vous n’auriez pas dit que vous n’avez jamais vu ni oui dire qu’il y eut trois Actrices vertueuses ?
Molière s’est dit à lui-même, au moins je me l’imagine : « Les Français sont naturellement portés aux plaisirs : est-ce un mal que d’aimer le plaisir ? […] L’art de l’Auteur fut d’imaginer des situations, de les coudre si artistement, que si elles arrivaient en effet dans l’espace de temps que dure la pièce, un avare quel qu’il fut, ferait infailliblement les mêmes choses que fait Harpagon. […] Vous imaginez-vous, m’allez-vous dire, que ce point d’honneur pointilleux subsisterait avec moins de force, quand on aurait vu votre Comédie ou votre Tragédie et qu’un homme qui aurait reçu un soufflet en serait moins méprisé, quelque sage qu’il fut, s’il négligeait d’en tirer raison ; pourquoi non ? […] C’est aux lois, à la raison, c’est aux Auteurs Dramatiques à lui faire sentir que la fausse application du courage est un vice et cela n’est pas si fort éloigné du succès que vous vous l’imaginez. Je me trompe fort si vous n’avez imaginé un très beau dénouement pour quelque Tragédie ou Comédie dans laquelle le point d’honneur mal entendu serait l’objet de la critique.
D’ailleurs, après que je me suis éfforcé de m’imaginer que je suis véritablement dans une salle, ou tel autre endroit où se passe la Scène, n’est-ce pas abuser de ma bonne volonté, & me mettre dans le cas de perdre à la fin toute l’illusion que je serais charmé de ressentir, que de me contraindre à recommencer à tout moment le même ouvrage ? […] Plus on peut faciliter au Spectateur les moyens de s’imaginer que ce qu’il voit est réel, plus on est certain que son plaisir est vif, & qu’il s’intéresse à l’action ; or on est sur d’y réussir lorsqu’on racourcit le tems prescrit à la Comédie. […] Si elle représentait une rue ou la campagne, on n’y serait pas pour cela règner une nuit obscure ; une lueur assez forte éclairerait les objets, répandrait autour d’eux l’éclat nécessaire ; & ce serait à la Lune qu’on s’imaginerait la devoir, ou à d’autres causes étrangères.
L’ECOLE DES FEMMES, Cette Comédie est le contrepied de la précédente : dans l’Ecole des Maris c’est l’esprit qui sert la passion, et dans l’Ecole des Femmes c’est la passion qui donne de l’esprit : l’une et l’autre de ces Pièces semblent être imaginées tout exprès pour gâter le cœur et pervertir l’innocence de la jeunesse la mieux élevée ; les filles d’esprit et les innocentes y trouvent également des leçons très dangereuses sur un point qui ne devrait jamais être traité devant les jeunes gens, et moins encore sur le Théâtre que partout ailleurs.
Vous eussiez mieux fait sans doute de ne point relever ce qu’il a dit, et de laisser tout tomber sur Desmarets, à qui on ne pouvait parler moins fortement, puisqu’il est assez visionnaire pour dire lui-même qu’il a fait les aventures d’un Roman avec l’esprit de la Grâce, et pour s’imaginer qu’il peut traiter les mystères de la Grâce avec une imagination de Roman. […] C’est enfin tout ce qu’un fou s’imagine. Mais il ne se l’imagine pas seulement, il l’écrit, il l’imprime, il le publie, et on le peut voir dans les endroits de ses livres que l’Auteur des lettres a cités. […] Désabusez-vous, Monsieur, et ne vous imaginez point que le monde soit assez injuste pour juger selon votre passion, il n’y a personne au contraire qui n’ait horreur de voir que votre haine va déterrer les morts, et outrager lâchement la mémoire de Monsieur Le Maistre et de la Mère Angélique, par des railleries méprisantes et des calomnies ridicules.