Si nous cherchons parmi les Modernes de quoi appuyer encore ce sentiment, Rousseau nous dira : « Des fictions la vive liberté, Peint souvent mieux l’austère vérité, Que ne ferait la froideur monacale, D’une lugubre et pesante morale. » Ce n’est pas qu’on prétende ici justifier la Comédie dans toutes ses parties : il est un juste milieu entre deux excès également opposés ; les uns sans aucun examen condamnent absolument ce genre d’écrire comme contraire aux bonnes mœurs.
Rousseau ; l’une qu’Alceste est un homme passionné, violent, insociable ; l’autre, que dans sa vertu Molière n’a repris que l’excès. […] Mais cette même probité s’irrite, passe les bornes et tombe dans l’excès. Le Misanthrope déraisonne et devient ridicule, non pas dans sa vertu, mais dans l’excès où elle donne. […] Voilà, dis-je, cet amour dont les excès sont inévitables. […] Cénie, Mélanide, l’Oracle, c’est là, dites-vous, qu’on respire le poison d’un amour dont les excès sont inévitables.
Sertorius, qui est si vivement amoureux de Viriate, quoique dans un âge avancé, et malgré son expérience, n’est rien moins que tranquille dans sa passion : en sorte que je ne trouve pas qu’il y ait une assez grande différence entre ces deux Amants et les Amants ordinaires de Théâtre ; pour que le Poète ait eu lieu de s’excuser dans sa Préface, de n’avoir pas donné dans un excès que l’on aurait peut-être souhaité, en les faisant extravaguer davantage, et en leur prêtant toutes les fadeurs ordinaires aux Amants de Théâtre. […] L’action de la Tragédie de Médée, n’est que la vengeance qu’elle prend de l’insulte que Jason lui a faite, en la renvoyant ; et la catastrophe de l’action est l’excès de son crime ; c’est ce crime qui seul doit attacher les Spectateurs, et faire sur eux une vive impression. […] Il semble d’abord que cette Pièce ne nous présente pas une passion d’amour, telle que nous la demandons pour le Théâtre de la réforme ; c’est-à-dire, une passion qui porte à de si grands excès qu’elle inspire l’horreur, et devienne par là propre à corriger et à instruire : cependant, si on y fait attention, on trouvera que cette première impression n’est pas conforme à la vérité. […] Pour ce qui est de la passion de Jugurtha, on ne peut pas disconvenir qu’elle ne soit infiniment instructive par son excès ; parce que c’est le transport effréné de sa passion, qui donne la mort à son rival, à sa Maîtresse et à sa propre fille, en même temps.
Les malheurs inévitables & communs à toutes les femmes, n’épargne pas plus le théatre que la cour & la ville, ils sont même plus présens & plus certains à toutes les femmes qui se fardent puisque le tard lui-même creuse les rides, ternit le tein, le rend livide & plombé, change les traits, rend la peau dure, & precipite la chûte de la beauté naturelle ; à plus forte raison quand le crime, par le feu des desirs, la vivacité des mouvemens, l’épuisement des forces, l’excès du libertinage, portent à tous les organes des corps mortels. […] Parce que avant l’Evangile, il n’y avoit que l’adultere & la brutalité des excès, de défendus ; excès qui perdirent les compagnons d’Ulysse, mais non la modération qui sauva leur sage Roi, lequel agissoit par un motif d’humanité, qui rendoit sa complaisance nonseulement excusable, mais glorieuse. […] La sagesse prétendue, tant vantée du divin Ulysse consiste, à ne pas perdre la raison, & ruiner la santé par des excès outrés. […] Une année se passe dans cet exercice de vertu, & les excès du vice : on se lasse enfin de tout, même du plaisir.
Les Officiers suivent les Actrices, & tombent dans les mêmes excès. […] Le théatre ne fit-il qu’occasionner ces excès, il seroit un très-grand mal. […] Le reste n’est qu’un pantomîme ordinaire d’une action infame, dont on a supprimé le dernier excès. […] On a beau supprimer les derniers excès de l’aventure, qu’aucun homme de théatre n’ignore, & que l’imagination supplée aussi-tôt. […] Ces monstrueux excès ne sont ils donc que licence d’opinion, luxe d’esprit, abus de la raison ?