Je le ferais encor, si j'avais à le faire. » C'est par la même corruption d'esprit qu'on entend sans peine ces horribles sentiments d'une personne qui veut se battre en duel contre son ami, parce qu'on le croyait auteur d'une chose, dont il le jugeait lui-même innocent.
Cette mode conviendroit fort au théatre, où voltigeant sans cesse sur des pieces, des évenemens, des décorations tout différens, l’esprit mène la vie la plus ambulante & la plus libertine. […] Le divertissement innocent relâche l’esprit & le fortifie & rend plus propre au travail & à la piété. […] Les esprits & les cœurs prennent avec d’autant plus de promptitude & de facilité cette teinte dans les maisons particulieres, que la comédie adoptée & entée dans sa famille, hôte, amie, enfant, commençal, est de tout, & partout, & donne à tout ses idées, ses goûts, ses allures. […] Ce qui contribua le plus à la mort du Comte d’Essex son favori, c’est qu’il avoit eu l’imprudence de dire : C’est une vieille carcasse qui a l’esprit de travers comme le corps. […] Ce n’est point une tolérance théologique, qui laisse sur des opinions incertaines la liberté de penser, la saine morale fut toujours bien décidée sur la grieveté de ce péché ; ni une tolérance ecclésiastique de discipline, qui ne proscrit point des actions qu’elle regarde comme peu importantes, les censures de l’Eglise, la privation des sacremens subsistent toujours ; ce n’est pas même une tolérance civile légale, les loix qui couvrent les Comédiens d’infamie ne sont pas révoquées ; ce n’est pas non plus une tolérance populaire, puisque malgré toute la ferveur, le goût, l’ivresse de ses amateurs, il n’est personne qui ne convienne du danger du théatre & de son opposition à l’esprit & aux règles d’une véritable piété ; ce n’est qu’une tolérance politique, qui croit avoir des raisons d’Etat de laisser subsister certains maux fi invétérés qu’il seroit impossible de les corriger, & dangereux de l’entreprendre, parce qu’il vaut mieux supporter un moindre mal pour en éviter un plus grand.
Cet homme célèbre, plein d’esprit & de politesse, qui écrivoit avec tant d’agrément & de légèreté les moindres bagatelles & les choses les plus sérieuses, qui a vécu trois ou quatre vies différentes, pour ainsi dire, homme, femme, abymé dans l’étude, livré au théatre, estimable par un courage apostolique, qui l’a conduit au bout du monde, méprisable par une coquetterie d’Actrice, toujours gouverné par le plaisir, se faisant aimer de tout le monde ; cette espèce de phénomène dans la société ne dissimule pas ses défauts. […] Il est certain que depuis une maladie qui le mit à deux doigts du tombeau, & son voyage à Siam, en qualité de Sous-Ambassadeur, & sa promotion au Sacerdoce par l’Evêque de Métellopolis, Missionnaire Apostolique, l’Abbé de Choisi converti a mené une vie réguliere ; il a composé plusieurs livres de piété qui ont édifié le public, & font honneur à son esprit & à son cœur, l’Histoire Ecclésiastique, la Vie de David, de Salomon, de Madame de Miramion, Dialogues sur la Religion, Recueil d’Histoires édifiantes, &c. […] Je n’ai rapporté tous ces traits que pour faire sentir l’étroite liaison entre le masque, le théatre & le vice, dans les personnes même dont l’esprit, l’état, l’honneur, l’intérêt, devroient élever les plus fortes barrieres, & qui ne peuvent en arrêter le cours. […] L’esprit n’est plus qu’un faux brillant, Les caresses qu’un faux semblant, Fausse gloire, fausse grandeur, Par-tout loge le faux honneur, Par-tout on voit fausse noblesse, Faux airs, fausse délicatesse ; Vertu nous montre un faux maintien, Clindor un faux homme de bien, Le cœur est faux chez Amarante, Lise est une fausse savante, Fausse apparence, faux dehors, Faux bruits, faux avis, faux rapports, Les graces un faux étalage, Les promesses un faux langage. […] Je sais qu’il n’a pas le premier formé des hommes faux & hypocrites, peut-être même un esprit faux & hypocrite contribua-t-il à le former ; mais il en a beaucoup augmenté le nombre, instruit, façonné, aguerri les coupables.
Ces deux imaginations qui me sont tombées dans l’esprit, ne sont pas si Visionaires qu’elles n’ayent quelque sorte de fondement ; & tel qui voudra leur faire justice ne condamnera pas absolument ma pensée.
Ministre de l'Église de Zurich : Trois livres des apparitions des Esprits, Fantosmes, prodiges et accidens merveilleux qui précèdent souventes fois la mort de quelque personnage renommé, ou un grand changement ès choses de ce monde, traduit d'Allemand en La traduction française est de 1571.