Car il ne faut pas se servir toujours de lénitifs et de remèdes doux et bénins ; mais quand le mal résiste à la raison, il en faut employer de plus forts ; pour empêcher qu’il ne gagne, et ne corrompe les autres parties du corps qui sont encore saines. […] Censeo principi eam rem vel maximæ curæ fore, ne ipse suo exemplo authoritatem conciliet arti vanissimæ, si frequenter intersit spectaculis, audiatque libenter fabulas, etc. » Il veut surtout qu’on empêche les jeunes gens d’assister à la Comédie, de peur dit-il, qu’étant comme la pépinière de la Republique, ils ne soient dès leurs plus tendres années tout gâtés et corrompus. […] Secondement il ordonna à ses Suffragants d’avoir grand soin d’empêcher qu’aux saints jours des Dimanches et des Fêtes, on ne jouat aucunes Comédies ; et qu’on ne fît même aucunes sortes de représentations. […] Je réponds à cela, que la prudence et les maximes de la politique obligent souvent les Magistrats à tolérer malgré eux des choses, qu’ils n’approuvent pas, pour empêcher de plus grands maux et de plus fâcheux désordres qu’ils craignent. […] mais ce secours ne nous est donné que pour nous empêcher de nous engager dans le péril, et non pas pour nous soutenir, lorsque nous nous y sommes engagés nous mêmes.
On ne voit aucune raison primitive de cette animosité de femme, que la haine contre la religion Catholique dont Philippe étoit le plus puissant & le plus zélé protecteur, & contre l’Empereur Charles-Quint son père qui avoit empêché la dissolution du mariage d’Henri VIII avec Catherine d’Aragon, & mis les plus grands obstacles à celui d’Anne de Boulen, mère d’Elisabeth, ce qui renversoit toutes ses prétentions au trône ; la Maison d’Autriche devoit lui être aussi odieuse que chère à Marie sa sœur. […] Il y eut bien des sortes de prétendans, tous pour monter sur son trône ; car à l’exception de Devonshire, aucun ne l’aima ; plusieurs de ses Sujets aspirèrent à sa main, elle les dédaigna, & quoique des regards tendres, des petites caresses, des mots obligeans, en un mot le manège d’une coquette les retint à son service, & les empêcha de former de parti, elles les en croyoit indignes. […] Ce Prélat, homme du plus grand mérite, au jugement même des Protestans, en mourut de chagrin dans sa prison ; elle fit porter une loi injurieuse à la nation & contraire à l’humanité ; cette loi défendoit de parler en faveur de ceux qui étoient accusés de crimes d’état, dont le plus grand étoit le Papisme, & de travailler à les délivrer sous peine d’être eux mêmes réputés coupables de haute trahison, comme si on pouvoit empêcher un fils de faire voir l’innocence de son père, & de travailler à sa liberté ; jamais l’inquisition contre laquelle on crie tant ; ne fut si barbare. […] Marie fit des fautes, & des mariages peu convenables ; on lui impute des crimes qu’on n’a jamais prouvé, & qu’elle a toujours nié, Elisabeth en fut la cause ayant empêché tous les mariages convenables qu’on lui proposoit pour ne pas avoir un voisin à craindre dans un mari entreprenant ; elle empêcha le mariage avec l’Archiduc d’Autriche, parce qu’étant Gouverneur des Pays-Bas & d’une maison si puissante, elle le craignoit ; avec le Comte de Lenox & le Duc de Norfolk ses parens, parce qu’ils auroient pû faire valoir ses droits ; elle fit même décapiter le Duc, parce que le bruit courut qu’il avoit épousé secretement la Reine d’Ecosse, elle lui offrit pourtant le Duc de Leicester dont elle comptoit être toujours la maîtresse. Dans le fond, elle n’en vouloit pas, & auroit bien trouvé des raisons pour l’empêcher ; elle vouloit en Comédienne les amuser pour faire diversion à d’autres mariages, elle savoit bien qu’ils n’en voudroient ni l’un ni l’autre.
Ce gouverneur avoit fait fermer les théatres pendant tout ce saint temps, comme capable d’en empêcher le fruit, & les a fait ouvrir après la clôture, sans doute pour conserver le saint fruit qu’on y avoit recueilli. Il est aisé de sentir que, les mêmes raisons de piété qui les font fermer, doivent empêcher de les ouvrir. […] Si, au contraire, ils sont des obstacles à la sainteté, s’ils empêchent de gagner les indulgences, & de mettre à profit ce temps de grace, pourquoi le permettre en aucun temps ? Il sont perdre cette grace précieuse qu’ils auroient empêché d’acquérir. […] Tous ces obstacles sont levés d’abord après Pâques, le théatre sanctifié va maintenir, augmenter cette piété qu’on craignoit qu’il n’empêchât d’acquérir : ce sera un exercice de dévotion.
On lui enveloppoit la tête & tout le corps de plusieurs pieces d’étoffe, pour la dérober aux yeux du peuple, & empêcher qu’on n’entendît ses cris. […] Il est certain que si l’on n’empêche pas tous les désordres, ce qui est impossible & commun à tous les états, du moins l’Eglise prend les plus grandes précautions pour les prévenir, & emploie tous les moyens de les réparer, & qu’en effet la plus grande & incomparablement plus grande partie des Religieuses embrasse librement son état, remplit exactement ses devoirs, & que l’éloignement du monde, les exercices de piété, les bons exemples, la pratique de la mortification, la fréquentation des sacremens sont de très-grands secours pour conserver une vertu fragile, dont la privation dans le monde laisse tomber dans les plus grands désordres. […] On empêche, dit-on, les grossieretés indécentes sur le théatre : on le doit sans doute, quoiqu’on soit encore bien indulgent ; mais enfin les obscénités sont-elles la seule indécence ?
Cherchons donc si ceux qui relevent la Poësie à ce point de sublimité ne s’en laissent point imposer aussi par l’art imitateur des Poëtes ; si leur admiration pour ces immortels ouvrages ne les empêche point de voir combien ils sont loin du vrai, de sentir que ce sont des couleurs sans consistance, de vains fantômes, des ombres ; & que, pour tracer de pareilles images, il n’y a rien de moins nécessaire que la connoissance de la vérité : ou bien, s’il y a dans tout cela quelque utilité réelle, & si les Poëtes sçavent en effet cette multitude de choses dont le Vulgaire trouve qu’ils parlent si bien. […] La plus noble faculté de l’ame, perdant ainsi l’usage & l’empire d’elle-même, s’accoutume à fléchir sous la loi des passions ; elle ne réprime plus nos pleurs & nos cris ; elle nous livre à notre attendrissement pour des objets qui nous sont étrangers ; & sous prétexte de commisération pour des malheurs chimériques, loin de s’indigner qu’un homme vertueux s’abandonne à des douleurs excessives, loin de nous empêcher de l’applaudir dans son avilissement, elle nous laisse applaudir nous-mêmes de la pitié qu’il nous inspire ; c’est un plaisir que nous croyons avoir gagné sans foiblesse, & que nous goûtons sans remords. […] Personne au moins ne sçauroit nier qu’il ne soit tel sur nos clavecins en vertu du tempérament ; ce qui n’empêche pas ces quintes ainsi tempérées de nous paroître agréables.