« LE Théâtre, dit l’Abbé d’Aubignac, étant peu-à-peu & par dégré monté a sa dernière perfection, devint enfin l’image sensible & mouvante de toute la vie humaine.
Mais la religion est comme les passions qui doivent être utiles aux hommes : lorsqu’elle n’est pas exercée avec sagesse, avec une prudente modération, elle peut nous éloigner de la voie de nos devoirs, influer sur notre humeur et nous faire devenir aussi pervers qu’elle aurait pu nous rendre bons et bienfaisants.
Il n’y a que les comédies, où ceux qui regardent, et qui agissent commettent un même péché ; où la vue devient contagieuse et criminelle ; où ceux qui sont venus chastes, s’en retournent incontinents.
Que la face des spectacles change ; que le Théatre devienne une Ecole de vertu ; la profession de Comédien n’aura plus les caractères qui la dégradent. […] Comme productions de son esprit, on sait qu’elles lui étoient devenues sur la fin de ses jours parfaitement indifférentes. […] L’intérêt dans le Cid commence avec la Tragédie, telle qu’on la représente aujourd’hui, c’est-à-dire, dès la quatrieme Scène, qui est devenue la premiere par la sage suppression des trois précédentes. […] Il avoit trop de religion & de probité pour se permettre ces maximes licentieusés qui remplissent nos Opéra, & qui, graces à la corruption du cœur humain, sont devenues autant de proverbes contre la sagesse & la vertu. […] Arnaud des amours d’Hippolyte & d’Aricie dans la Tragédie de Phedre, dont, à cela près, ce Théologien rigide se déclara publiquement l’approbateur, avouant même que des ouvrages dramatiques de cette nature n’avoient rien que de louable, & pouvoient devenir utiles.
Renouvellez votre attention, Messieurs ; la matiere devient plus intéressante, & le préjugé plus difficile encore à détruire. […] Que voit-on maintenant sur le théâtre, qu’un héroïsme corrompu par les égarements d’un fol amour, l’amour devenu la passion des belles ames ? […] Dans un lieu où tout les excite & les enflamme, que deviendront des cœurs amollis & attendris au milieu des assauts violents qu’ils auront à essuyer de toute part ?