Ceux qui se sont apperçus des défauts du Spectacle moderne, n’auront pu s’empêcher, en le condamnant, de convenir du mérite de ses Acteurs.
L es plus beaux traits d’une sérieuse morale sont souvent moins puissants pour instruire et corriger les hommes que des portraits ridicules de leurs défauts.
Il faut l’adoucir, en convenant, qu’avec tous ces défauts & ces ridicules, les hommes d’aujourd’hui valent encore mieux que leurs ancêtres. […] Nous avons des défauts, nos pères avaient des vices ; nous avons des ridicules, ils en avaient aussi, & de plus, la grossièreté : l’avantage est pour nous. […] Le beau Chœur de l’Acte de l’Amour & Psyché, ceux de Zoroastre, & peu d’autres, n’ont pas ces défauts. […] Un Bordelais, un Lyonnais, un Strasbourgeois citèrent les Coryphées de leurs villes : mais l’homme de goût, qui les avait vus, reprocha à l’un ses grimaces & sa continuelle invraisemblance, à l’autre son défaut de sensibilité, ou, comme l’on dit, d’entrailles ; à celui-ci la monotonie de son geste, à celui-là l’ignobilité de figure & le défaut d’organe. […] Je ne trouve donc à notre Musique que ce défaut-ci : elle ne me donne point de plaisir.
On ne trouve dans les traductions l’ordonnance, les attitudes, les couleurs, les beautés ni les défauts de l’original : trop littérales, elles trahiroient le poëte & sa gloire, par des expressions, des métaphores basses dans notre langue, quoique nobles, dit-on, en anglois, où il n’y a point de mots bas. […] Pour réussir dans cet empoisonnement, le confesseur doit lui donner en le communiant une hostie empoisonnée, qu’on appelle par dérision une gauffre ; & afin qu’il ne s’excuse pas sur le défaut de poison, ou la difficulté de le mettre dans la gauffre, le Viceroi lui en donne une toute préparée, dont le moine doit se servir. […] L’auteur qui rapporte ce trait, l’embellit en protestant ennemi des Papes, exagere beaucoup ce défaut naturel, que la fréquentation & le goût du théatre avoit nourri dans ce Pontife depuis sa jeunesse, & met dans la bouche de ce prêtre les discours les plus insolens, qui n’ont jamais été tenus à des Papes, & n’ont jamais dû l’être ; quoique le théatre, qui gâte les hommes les plus sages, eût fait du tort à celui-ci. […] Les actrices iroient y étudier ces antiquités, chercher des graces, y apprendre le costume ; on y trouveroit des modeles de masques pour le bal ; & comme plusieurs modes n’ont été imaginées que pour cacher les défauts, ce magasin donneroit des mouches pour les boutons, du rouge pour la pâleur, des falbalas, des paniers pour, &c. […] Mais, persuadé que les vertus & les talens sont la vraie noblesse, & qu’on ne fait tant valoir ses titres que pour suppléer au défaut de mérite, je ne puis comprendre les contradictions des amateurs du théatre continuellement entétés de noblesse, qui la mettent au-dessus de tout, & qui cependant traitent avec tant de considération, & comblent de présens & d’éloges les suppôts de la scène, qui ne sont la plupart que peuple.
le ridicule, dis-je, appelle aussi l’attention du réformateur ; il doit être sagement circonscrit, et même souvent repoussé du théàtre comme punition injuste, sans proportion, et comme gratuitement cruel lorsque ses traits seront dirigés contre des défauts légers, qui n’excluent point la vertu et la sensibilité. […] Oui, un épisode, une scène, et même une simple citation, un trait lancé à-propos, en un mot, un coup de plume suffira souvent pour porter ces arrêts imposants dont la sévérité pourra par ce moyen se graduer sur la gravité des délits ou des défauts, ce que les Athéniens ont trop négligé, etc., etc. […] L’utilité de légitimer et bien organiser cette justice intermédiaire qui n’aurait d’action que sur les justiciables de l’opinion, qui n’appellerait sur eux que la peine intermédiaire aussi de la honte et du ridicule (et tout au plus de la surveillance spéciale du ministère public qui, même dans les cas d’une certaine gravité, bornerait là son intervention, en vertu d’un pouvoir discrétionnaire ad hoc), et ferait alors concourir efficacement à la réforme ce puissant et précieux moyen de répression, dont toutefois, ainsi que je viens d’en faire le vœu, il ne serait plus fait d’application inconsidérée aux écarts et défauts légers qui n’excluent point l’honneur ou la droiture de l’âme ; l’utilité, dis-je, de cette sorte de tribunal correctionnel de première instance, qui ne décernerait ses peines morales que pour en prévenir d’afflictives et plus graves, me parait frappante dans ce temps de perversité et de dépravation générale où tant d’hypocrites de toute espèce que la loi ne peut atteindre, serpentent long-temps dans la société, et rusent paisiblement, font, comme on dit, tout juste ce qu’il faut faire pour ne pas être pendus, et deviennent ainsi des scélérats endurcis ; dans ce temps où les tribunaux existants, encombrés de coupables, suffisent à peine, et seront bientôt obligés, s’ils ne le sont pas encore, de fléchir, de fermer les yeux souvent, ou tolérer les désordres, par l’impossibilité d’en juger et punir tous les auteurs, dont un grand nombre, leur repentir, l’abîme de regrets et de douleur où on les voit plongés après leur condamnation, ne permet pas d’en douter, dont un grand nombre, dis-je, ne sont arrivés au point d’avoir encouru les peines les plus graves et infamantes, que pour n’avoir pas été arrêtés dans la route du crime, ou par l’effet, ou par la crainte d’un premier et moindre châtiment plus difficile à éviter. […] On y voit que dans le cas où les traits d’une satire auraient été mal dirigés, on trouverait peut-être dans ce tribunal de mœurs une voie d’appel ou de réparation, qui n’existe pas, qui est impossible aujourd’hui, par défaut d’unité ; ce qui compléterait l’institution de la justice intermédiaire et la contiendrait dans les limites de sa compétence. […] La commission, moyennant ces précautions et d’autres nécessaires pour éviter le danger des applications particulières et injustes, croira peut-être pouvoir conserver aussi aux théâtres le droit de poursuivre en masse de simples ridicules ; c’est-à-dire, de gloser et s’égayer sur les faiblesses, les défauts, les erreurs, les préjugés, qui sont censés affecter indistinctement toutes les classes de la société ; mais je ne doute pas qu’elle n’encourage plus efficacement qu’on ne peut le faire aujourd’hui, surtout le genre de spectacles convenable à toutes les conditions et à tous les âges ; celui dans lequel la morale est véritablement respectée et défendue, dans lequel le charme du naturel, celui de l’esprit sage et une gaîté décente, s’associent aux convenances et à l’intérêt du sentiment ; dans lequel, par conséquent, on ne souffre point de ces comédies faites bien moins dans l’intérêt de la réforme que dans le goût de la malignité et le sens de la dégénération, où on voit le vice fardé et séduisant triompher, au milieu des éclats de rire, de la vertu défigurée et avilie.