si vous vous representiés chaque jour devant les yeux le détachement du monde, la fuite de ses pompes & de ses plaisirs, la haine de vous-même, la mortification de vos sens, la vie de la Foi, que vous avés embrassées, la conformité avec Jesus-Christ, qu’il exige de vous comme son membre & son enfant, si vous le compreniés bien, qu’il faut aimer Dieu de tout vôtre cœur sans retour, ni partage, que vous ne pouvés sans crime porter ailleurs vos affections & vos desirs, que toute pensée, toute parole, toute œuvre qui ne se rapporte point à lui, est l’œuvre de Satan, & par consequent criminelle, qu’un simple regard qui ne tend pas à lui & à sa gloire, lui deplaît, l’offense ; qu’une seule demarche quelque innocente qu’elle paroisse, si elle ne se fait pas selon la charité, nous rend rebelles & coupables : si vous les compreniés bien, dis-je, ces verités, vous gemiriés sans cesse, vous viendriés souvent au pied du Tribunal vous declarer coupable devant Jesus-Christ vôtre Juge, dont le Confesseur tient la place.
J’ose dire que dans cette scène abominable Elmire est plus coupable que Tartuffe, puisque c’est elle qui le cherche, l’agace, lui offre tout, le conduit pas à pas avec un artifice dont le plus vertueux auroit peine à se défendre, aux sentimens, aux désirs, aux entreprises les plus criminelles. […] Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut, Vous croyant un obstacle à faire mon salut ; Mais cette passion peut n’être point coupable, Et je puis l’ajuster avecque la pudeur. […] Qu’elle est peu intraitable quand elle est si peu émue sur la perte d’un trésor si fragile & si précieux, & qu’en souffrant, d’un air aisé & en riant, les plus coupables attentats, elle enhardit, elle invite, elle fait tout espérer, & se met soi-même dans le plus grand danger !
Cette decision de saint Paul peut servir de resolution au doute, que Madame *** proposa : car je veux pour un moment, que la Comedie dont je parle, soit comtée entre les choses indifferentes, ou qu’elle passe pour telle à l’égard des personnes, qui ne courent aucun danger d’y commettre le peché : je veux même, pour pousser le parallele plus loin, que la Comedie soit pour des ames, qui ont une vertu à l’épreuve, ce que les viandes immolées aux Idoles étoient pour ceux qui étoient instruits de la liberté des enfans de l’Eglise : mais on m’avouera, comme les Corinthiens, quand ils donnerent occasion aux autres, qui n’étoient pas si bien instruits, devinrent coupables du scandale qu’ils leur donnoient ; que ceux-ci, quand par leur exemple ils authorisent les autres, qui n’ont pas la même force, ni une vertu qui se peut exposer au danger de commettre le peché, sont aussi responsables de tout le mal, que les foibles y feront. […] Qu’une Dame, dont la malheureuse tâche est de se faire aimer jusqu’à la passion, qui n’est pas honteuse de permettre cent legéres libertés ; qu’une Dame, dont les yeux, les paroles, les habits, l’air vain & coquet cinquante fois par jour étudié au miroir montrent, qu’elle n’a aucun soin de son salut, aille à la Comedie : elle ne sera coupable que de ses propres pechés : mais celles, que vous me peignez en vôtre lettre, ont assez de reputation de vertu, pour servir par leur exemple de prétexte aux autres, qui s’exposent évidemment au peché : & par consequent on ne peut plus doûter qu’elles ne pechent, quand elles vont à la Comedie ; & que les Anges Gardiens des personnes, auxquelles elles auront été une occasion de chute, n’en demandent un jour vengeance à la Justice Divine. […] mon Dieu, s’écrie saint Ambroise, combien un seul pêché fait-il des coupables !
Si les Auteurs & les Acteurs s’abandonnent à la licence par goût, les spectateurs n’en sont pas moins coupables ; il ne tient qu’à eux de les corriger. […] Après un portrait si hideux & si vrai, a-t-on droit de faire valoir en faveur du théatre ce que dit l’Orateur sur la possibilité de le rendre bon, l’usage qu’il en a fait, & qu’en faisoit sa Compagnie pour élever la jeunesse, prenant ainsi la thèse pour raison & le coupable pour juge ? […] La comédie est mauvaise, dit-il, ou par l’occasion du péché qu’on y trouve, ou par la dépense qu’on y fait pour les Comédiens, qu’on entretient dans leur coupable métier. […] Quoique sans doute ceux qui forment, qui appellent des troupes, ou quelque Acteur en particulier, ceux qui les font venir, jouer chez eux, soient incomparablement plus coupables, puisqu’ils sont cause de la représentation, les spectateurs qui payent à l’entrée d’un spectacle formé sans eux, ne sont pas innocens, puisqu’ils contribuent à son entretien.
mais par une condescendance coupable envers ce monstre, leur nouveau et puissant protecteur, et en lui faisant envisager l’adoption de leur foi comme le moyen de se faire absoudre de tant de crimes et d’attentats que l’humanité avait à lui reprocher, et que, sans doute, malgré leurs promesses, Dieu, dans sa justice, n’a pas dû laisser impunis. […] Bornons-nous à des vœux, pour que ceux qui spéculent sur les plaisirs du peuple n’abusent pas de sa confiance et ne lui fournissent que des boissons pures de toute mixtion malfaisante, car, sans cela, eux seuls seraient coupables de ce qui paraîtrait excès de la part de leurs victimes. […] Que peuvent donc avoir de coupable aux yeux de Dieu les pleurs que nous versons avec Andromaque, avec Iphigénie, et les sanglots que nous arrache le désespoir de Clytemnestre, quand sa fille, sa fille chérie, enlevée à ses embrassements, marche à l’autel pour y être sacrifiée à l’ambition de son père par la main d’un prêtre… Que peut avoir de coupable aux yeux de la divinité notre rire, à la brusquerie d’un tuteur justement trompé ; celui qu’excite le désespoir d’un avare qui se croit volé, se fouille lui-même, interroge tout ce qui l’entoure, et nous aussi spectateurs ?