J’ai toujours pensé que le Théâtre était plus propre à exciter les passions qu’à les corriger, comme ses Protecteurs le prétendent. […] Cependant dans ces premiers Poèmes dramatiques, ainsi que dans ces derniers, l’Auteur se proposait pour but principal de plaire à ses Spectateurs : car soit qu’il voulut les corriger, soit qu’il voulut simplement les amuser, il est certain qu’il ne pouvait réussir ni dans l’un ni dans l’autre de ces projets, qu’en faisant sur leurs esprits une impression, qui leur rendit aimables ou ses leçons ou ses jeux ; si quelques Poètes n’ont pû arriver à ce but ce n’est point la faute du Théâtre, mais uniquement de l’Auteur ou de l’Acteur, comme on va tâcher de le faire sentir.
Enfin, en nous peignant les foiblesses & les ridicules de la vie humaine ; ils corrigent les mœurs & ramènent les esprits à la raison. […] C’est donc à ces génies qu’il faut sçavoir gré des avantages qu’ils procurent Est-il bien certain, en prenant les Comédiens pour le Théatre, qu’ils épurent les mœurs, & corrigent les hommes ? […] Elle est puissamment aidée à la produire, & même à la dévancer, par un principe plus actif encore ; on pourroit voir l’amour propre étendre avec empressement un voile épais fur le tableau de nos fautes, pour les dérober aux yeux de nos semblables, ou faire des efforts pour nous corriger.
Ce roman en est tout rempli ; la malignité y regne d’un bout à l’autre, en fait tout le sel, comme dans les comédies, ou lui donne, comme aux pieces de théatre, un bon motif, de corriger du goût de la lecture des romans de chevalerie : vice fort rare & fort peu contagieux. […] Voilà ce qu’il faudroit corriger, plutôt que l’esprit de chevalerie ; & c’est cette malignité dont on donne des leçons, des modeles, des exemples On fait un mal très-réel, pour acquérir, dit-on, un chimérique bien. On attribue ce roman au commis d’un secrétaire d’état, qui aimoit la lecture de ces livres, qu’on voulut corriger ou plutôt ridiculiser.
Il est vrai qu’il faudrait qu’il fût beaucoup plus réservé que Molière, & qu’il employât bien des soins & des ménagemens ; il serait sûr au moins de voir ses Ouvrages se distinguer de la foule, en poursuivant un vice qu’il est comme défendu de vouloir réprimer : la Comédie étendrait plus loin les droits qu’elle a de reprendre & de corriger. […] Elles ont chacune leur manière propre d’émouvoir & de corriger les hommes.
La comédie guérit le mal qu’elle avait fait, le Poète corrigea le Monarque. […] Voici ces vers fameux : « Pour mérite premier, pour vertu singulière, Il excelle à traîner un char dans la carrière, A disputer des prix indignes de ses mains, Et se donner lui-même en spectacle aux Romains. » La comédie peut tout au plus corriger des ridicules, mais jamais guérir des passions. […] « C’est un moyen, dit-il, de dire la vérité aux Grands, à qui tout la déguise, et que tout s’empresse de flatter : on peut, sous des noms empruntés, y tourner leurs défauts en ridicule, et les en corriger. » L’expérience dément en tout ce raisonnement. Le théâtre ne corrige pas les Grands ; il n’oserait l’entreprendre, et ne saurait y réussir. […] Ces satires indécentes ne corrigent personne, et ne font qu’aigrir les esprits.