Quand un homme ne peut croire ce qu’il trouve absurde, ce n’est pas sa faute, c’est celle de sa raison ; et; comment concevrai-je que Dieu le punisse de ne s’être pas fait un entendement contraire à celui qu’il a reçu de lui ? […] Qu’en pareil cas ils interprétent de leur mieux les Passages contraires à leur opinion, plutôt que de l’abandonner, que peuvent-ils faire autre chose ? […] Cette morale n’est pas plus admise à Genève qu’à Paris, et; tout bon Protestant, comme tout bon Catholique, ne se permettra jamais des sentimens si contraires à la croyance qu’on doit aux Mysteres de Foi, quoiqu’ils paroissent incompatibles avec les lumieres de notre foible raison.
C’est en ne voulant plus qu’on y enseigne une Morale si pure, et si contraire à vos maximes relâchées, mais qu’on y substitue celle de M. […] Abelly ont introduit dans la morale Chrétienne cette pernicieuse maxime : Que l’on peut suivre une opinion moins probable et moins sûre en faisant ce qui est péché selon l’opinion contraire qui nous paraît plus probable. […] Car n’ayant pu nier qu’il n’y ait un précepte d’aimer Dieu, non seulement négatif par lequel il nous serait défendu de rien faire qui serait contraire à cet amour, mais aussi affirmatif qui nous oblige à l’aimer par un acte intérieur, il demande en quel temps ce précepte oblige. […] Mais quoi que cela lui paraisse probable, il prétend que l’on se met à couvert de cette obligation en souscrivant à l’opinion contraire.
Il y est aussi marqué que les Ecclésiastiques, ne doivent point se divertir à voir les masques, ni souffrir ces insolences en leur présence ; parce que ce sont des inventions diaboliques, et contraires à l’esprit de l’Eglise, et aux Canons. […] Et si quelqu’un nous oppose pour éluder la force du Canon du Concile d’Agde, que le Concile ne parle que des Danses, et des jeux qui sont immodestes et déshonnêtes, et qu’ainsi ces sortes d’exercices ne sont pas illicites à l’égard des Clercs, lorsqu’il ne s’y mêle rien de contraire à l’honnêteté, et à la modestie ; cette objection se détruit aisément par la considération sérieuse et attentive du vrai sens du Canon, qui ne comprend pas seulement les déshonnêtetés qui sont évidemment mortelles ; mais toute sorte d’actions, de gestes, et de mouvements trop libres, qui ne s’accordent point avec la retenue, et avec la sainteté des enfants de Dieu. […] Car pour réfuter encore plus puissamment cette illusion, ce qui ne passerait pas pour contraire à l’honnêteté, si on le prenait absolument, d’une manière générale ; ne laisse pas de l’être, par rapport à la condition particulière des personnes appliquées au culte de Dieu par une spéciale consécration.
Les grands Maîtres (ainsi que d’illustres Ecrivains ont remarqué) nous ont donné plusieurs préceptes qui sont contraires à la vérité et à la raison : depuis deux mille ans nous portons le joug sans oser le secouer ; parce que nous ne les approfondissons point ces préceptes, ou parce que nous nous obstinons à les soutenir par prévention. […] En effet, pour peu qu’on veuille se rappeller que, dans le premier Livre où j’ai eu l’honneur d’entretenir le Public, j’ai dit librement que les Modernes, dans presque tous les genres de Littérature et de Sciences, avaient secoué le joug d’Aristote, et que sa seule Poétique nous tyrannisait encore ; pour peu, dis-je, qu’on veuille se rappeller cette phrase, que je n’ai point écrite au hasard, on ne m’accusera point d’être contraire à moi-même. […] En un mot je respecte les règles, lorsqu’elles me paraissent dictées par la nature et conformes à la raison ; mais je ne les écoute pas quand elles forcent la nature, et que, contraires au bon sens et à la raison, elles ne tendent qu’à nous mettre aux fers comme des esclaves.
Feu M. le Cardinal Grimaldi était ennemi de votre méchante Morale ; il n’avait que de l’horreur pour vos maximes ; ses règles dans l’administration du Sacrement de Pénitence, étaient contraires aux vôtres ; il voulait qu’on mit en usage bien plus souvent que vous ne voudriez le délai de l’Absolution ; que l’amour de Dieu fût la marque et le caractère des véritables conversions ; que la charité fût l’âme des bonnes œuvres ; qu’elle en fût la fin, le principe et la règle. Or quelque Saint que soit un Evêque vous ne lui donnerez ni approbation ni louange lorsque sa conduite sera contraire à la votre et qu’il n’agira point selon vos maximes.