Pour qu’un Acteur connût les moyens qui sont propres à toucher le spectateur, il faudroit, 1°. […] Dans les passions les plus connues nous nous proposons tous à-peu-près la même fin. […] Ce seroit mal connoître l’essence de cette cruelle satiété, que de prétendre qu’un Acteur peut s’y soustraire quand les circonstances l’exigent.
Il est donc nécessaire que les Poètes s’attachent à le connaître ; ils y parviendront, s’ils étudient avec soin la Nature. […] S’il se montre dans-leurs discours, si l’on croit le connaître aux pensées relevées, aux réfléxions, aux maximes qui leur échappent ; l’illusion se dissipe ; & l’homme de goût siffle avec mépris ce que le Poète s’applaudissait souvent d’avoir écrit. […] Ne faites pas tant la fière ; vous ne me connaissez pas encore ; mais regardez-moi bien ; vous verrez un luron qui en a déniché plus d’une.
On aurait pris patience ; mais on l’a perdue quand on a vu qu’il voulait vous faire connaître pour un Théologien de mérite. […] Vous connaissez pourtant, dites-vous page 54, de « fort honnêtes gens de cette profession ». […] En effet on voit beaucoup de gens qui veulent passer pour doctes, sans être Docteurs ni doctes, il ne vous est pas difficile d’en connaître. […] Vous en connaissez sans doute, ou vous en connaîtrez facilement, si vous vous déclarez pour Auteur de votre Lettre ; elles seront d’assez bonne sorte pour vous avouer que non. […] J’en connais qui l’ont fait plusieurs fois contre votre Lettre.
Quand j’avance qu’il n’en a point parlé, l’on aurait tort de me croire à la lettre, il est très-possible qu’il l’ait connu. […] On ne les connaissait pas du tems d’Aristote, puis qu’il dit dans sa Poétique ; « Les noms ne signifient rien, même doubles & séparés, comme Théodore, si l’on désunit les deux noms qui le forment, ni l’un ni l’autre ne signifient rien12. » Je crois avoir prouvé le contraire ; je vais le faire sentir encore mieux par ce même mot Théodore, que notre Philosophe soutient ne signifier qu’un simple nom d’homme.
J’ai donc assez bonne opinion de l’Auteur du Discours, pour le croire destiné à faire voir aux hommes qu’on peut surpasser Aristote, même dans la Poëtique ; & s’il a autant de courage pour l’entreprendre que je lui connois de talents pour l’exécuter, la premiere chose que je lui conseillerois de changer dans son Ouvrage, est le titre qu’il lui donne. […] Il en est de même des autres passions que l’action imitée par le Poëte Tragique, réveille dans notre ame ; & sans en dire davantage sur un sujet si connu, il est certain qu’une passion vive & agréable qui ne coûteroit rien à satisfaire, & qui ne seroit suivie ni d’un mal réel, ni même d’aucun trouble importun, passeroit dans l’esprit du commun des hommes, si elle pouvoit être durable, pour l’état le plus heureux de cette vie. […] Nous aimons à prévoir les événements qui doivent arriver, par le désir que nous avons de tout connoître, & de satisfaire la curiosité de notre esprit. […] Tout ce que je viens de distinguer soit dans les parties principales de la Tragédie, soit dans celles qui appartiennent plus à l’ornement qu’à l’essence de cette espéce de Poëme, fait connoître les prémieres causes de l’impression qu’elle produit sur les Spectateurs en réveillant, en fortifiant, en authorisant leurs passions. […] Il est ordinairement plus aisé d’appercevoir des rapports entre des objets qui nous sont connus, que d’examiner à fonds les choses en elles-mêmes.