Il seroit très-injuste de vouloir combattre les loix par la conduite. Au contraire, il faut juger de la conduite par les loix. […] Leur conduite ne peut que rendre très-suspecte la cause dont ils sont les champions.
Cependant comme la grande qualité d’une Tragédie est que dans une Action conduite avec vivacité & vraisemblance, le nœud accroisse le trouble de Scene en Scene, jusqu’à la Catastrophe, & que cette perfection se trouve dans l’Œdippe de Sophocle & dans Athalie, on pourroit peut-être mettre ces deux Piéces dans la balance. L’Action dans Œdippe est conduite avec un ordre & une vivacité admirable. […] La lecture de cette seule Piéce nous jette dans une émotion que ne nous cause point celle d’Athalie, où la Reconnoissance produit une Catastrophe qui remet le Spectateur dans la tranquillité ; mais en même tems cette Piéce aussi recommandable que celle de Sophocle, par la simplicité, la vraisemblance de la conduite, & la vivacité de l’Action, d’où naît un très-grand intérêt, étant outre cela recommandable par la beauté des caracteres, & les vérités qu’elle enseigne, forme un Tout ensemble, qui la rend digne d’être comparée au Chef-d’œuvre de la Grece.
Il excuse sa conduite 1.° par l’exemple de tous les Poëtes dramatiques, dont il prétend que la plupart des piéces sont faites sur les anciennes. […] Il y a même des scenes qui ne devoient pas être employées pour lui, mais pour un Chevalier, son éleve, qu’on ne nomme pas, mais qui plein de fureur poëtique dans l’âge le plus tendre s’avisa de faire des comédies prit Destouches pour son maître, & se livra à sa conduite. […] Il ajoute que sa conduite y a été conforme, & que tout son théatre est très-décent . […] Quand j’entrepris l’Ingrat, je ne me serois pas avisé de traiter un caractere si odieux que les Comediens même ont de la repugnance à se charger de ce rôle, quoique très-vif & très-bon, & que ce soit une de mes meilleurs pieces, fortement versifiée, assez bien conduite & très-intéressante. […] Campar, Musicien plus célèbre, plus fécond, plus habile, est un homme sans conséquence pour la morale, dont les aveux & la conduite ne mettent aucun poids dans la balance.
Elles furent attaquées du côté des mœurs ; mais le Poëte, qui ne s’en embarrassoit guère, se contente de dire dans la préface, que les rieurs ont été de son côté, qu’il y est venu beaucoup de monde, qu’il est assez vengé ; qu’il souhaite le même succès à toutes ses pieces ; & dans la critique, qu’on se rend ridicule par une délicatesse d’honneur qui s’offense de l’ombre des choses ; que celles qui font tant de façons ne sont pas estimées plus femmes de bien, qu’on est ravi de les censurer, que les détournemens de tête, les cachemens de visage (mots singuliers), font dire cent sottises de leur conduite. […] La doctrine générale qui en résulte, c’est que la bonne éducation des filles consiste à leur donner une entiere liberté, les laisser courir seules, sur leur bonne foi, le bal, la comédie, les compagnies, & voir qui bon leur semble, comme la Léonor, dont cette conduite indulgente a fait une héroïne, tandis que la vigilance & la retraite ont fait de sa sœur Isabelle une intrigante & une effrontée ; que le soin & l’attention à éloigner les jeunes gens des dangers du crime, ne servent qu’à leur en donner plus d’envie, & leur faire chercher les moyens de se satisfaire, & que la sévérité même qu’on a pour eux, les autorise à secouer le joug, & leur est une excuse légitime ; que ces sévères instituteurs en sont toûjours la duppe, & se couvrent de ridicule ; que malgré toutes leurs mesures, l’amour, inépuisable en ressources, rend inventifs les plus innocens, & trouve enfin mille moyens pour réussir ; qu’après tout c’est un vain scrupule de se refuser à la galanterie, mal commun, dont personne n’est exempt ; qu’il est de la sagesse de ne pas être plus sage que les autres ; qu’on ne peut compter ni sur les femmes, ni sur les filles ; qu’il faut s’y attendre, s’en faire un jeu, & n’avoir pas l’inutile foiblesse de s’en embarrasser. […] Aussi ne le crois-je pas assez profondément méchant pour ourdir cette chaîne diabolique ; c’est une troupe de libertins qui donnent les plus mauvais exemples, tiennent les plus mauvais discours, offrent les objets les plus dangereux, mais n’agissent qu’au hasard, par goût & par passion, sans avoir en vûe aucun plan raisonné de conduite. […] Pour vous, ma fille, nous vous recommandons d’honorer votre beaupère & votre bellemère, d’aimer votre mari, de régler votre famille, de gouverner votre maison, & de vous montrer irrépréhensile dans votre conduite : Monentes eam honorare soceros, diligere maritum, regere familiam, gubernare domum, & se ipsam irreprehensibilem exhibere. […] Abandonner sa maison à des domestiques, livrer sa famille à des nourrices ou des gouvernantes, ou plûtôt être sans enfans, car ils sont à charge, on crir le bal & les spectacles, passer la nuit en parties de plaisir, le jour au lit ou à la toilette, faire grand’chère, jouer gros jeu, toûjours belle compagnie & quelque amant, porter les plus riches habits, avoir un appartement différent du mari, s’embarrasser fort peu de lui, le connoître à peine, traiter avec mépris son beaupère & sa belle-mère, en vivre séparé, &c. voilà le bon ton, la belle morale, la noble conduite du théatre.
Elle ne manquera pas de le fréquenter dans la suite et d'en trouver l'apologie dans la conduite de ses maîtres. […] » Les Saints n'y seraient pas venus, s'ils n'eussent voulu y applaudir ; et pour concilier leur conduite avec l'idée qu'ils voulaient que l'on eût de leur aversion pour le théâtre, ils désirèrent que toutes les pièces ressemblassent à Esther. […] Malgré des suffrages si respectables, la conduite de Madame de Maintenon fut de toutes parts censurée. […] L'Evêque de Chartres, leur Supérieur, et Directeur de Madame de Maintenon, refusa absolument de s'y trouver, et fit pendant la représentation un sermon à la Communauté : conduite singulière, car quelle apparence que sa pénitente eût agi contre sa volonté ? […] Je le répète, quoiqu'il y ait certainement de la différence pour les mœurs entre les pièces de collège et celles de la comédie, on aura toujours bien de la peine à sauver l'inconséquence de cette conduite, à concilier la condamnation du théâtre avec l'essai qu'on en fait, l'intelligence qu'on conserve avec lui, la goût qu'on inspire pour lui, et de persuader le public qu'on évite la peste dans une ville quand on l'établit bien volontairement dans ses fauxbourgs.