Je laisse à part toutes ces autres passions de colères, de vengeance, d’ambition, d’amour propre qui paraissent dans leur excès avec honneur sur le Théâtre, et qui par ce moyen effacent dans les esprits ce caractère d’horreur que Dieu y a attaché, pour empêcher que les hommes ne s’y abandonnent. […] On a fait plusieurs excellens Traités pour montrer qu’il y a une infinité de choses mauvaises dans les Comedies même qui passent pour les plus épurées ; et que dans celles qui sont prises sur des sujets sains, toutes les vertus y sont offensées, comme la vérité, la modestie, la patience, l’humilité, la piété même et la Religion, qui en devraient faire le caractère. […] Mais vous êtes d’un âge et d’un caractère à ne risquer rien : Qui vous l’a dit, Chrétiens ? […] Aussi les Saints ont-ils toujours cru que l’amour des plaisirs était le caractère des esclaves du démon, dont il est dit, qu’ils passent leurs jours dans la joie, et qu’en un moment auquel ils pensent le moins, ils descendent dans les enfers ; et que l’amour de la Croix, l’affliction volontaire, et les larmes que l’on répand, soit dans la pénitence, soit dans la prière faisaient le caractère des amis de Dieu.
C’est pourquoi, il ne faut pas espérer de rien faire de régulier de la comédie, parce que celles qui entreprennent de traiter les grandes passions, veulent remuer les plus dangereuses, à cause qu’elles sont aussi les plus agréables : et que celles, dont le dessein est de faire rire, qui pourraient être, ce semble, les moins vicieuses ; outre l’indécence de ce caractère dans un chrétien, attirent trop facilement le licencieux, que les gens du monde, quelque modérés qu’ils paraissent, aiment mieux ordinairement qu’on leur enveloppe, que de le supprimer entièrement.
Multiplicité de ses caractères chez les Anciens. […] Les Anciens employaient pour notes les vingt-quatre lettres de l’alphabet Grec, auxquelles ils fesaient prendre plusieurs formes ; les diverses figures qu’ils leur donnaient, fesaient en tout cent vingt-cinq caractères différens ; ce nombre se multipliait encore considérablement dans la pratique : de sorte que la musique était alors véritablement une science, & une science fort embrouillée. […] Les Chinois & les Arabes, qui, de toutes les Nations étrangères, ont le plus cultivé les Lettres, n’ont aucuns caractères ou notes.
Cet état anormal, ou cette perversion de la sensibilité, insensiblement amenée par les commotions les plus fortes, les affections les plus variées et les plus opposées des âmes déjà flétries et amollies, peut être portée au point d’altérer le caractère, de dépraver le sentiment, d’ouvrir la porte à toutes les maladies nerveuses, et produire enfin des anomalies ou des perturbations mentales ou affectives qui peut-être empoisonneront pour toujours la vie domestique et sociale. Voyez dans nos opulentes cités la jeunesse énervée, flasque, flétrie, fanée, saturée de plaisirs, de volupté, de musique, de spectacles, de danses, de bals et d’autre chose encore : la source des beaux sentiments est tarie, le caractère est dégénéré et le cœur desséché.
[A] L e Mimisme [A], ou l’Art de donner, par l’imitation, les grâces & la vie aux personnages d’un Drame ; de leur prêter ses organes d’une manière convenable à leur caractère ; de les animer de ce feu que l’Auteur n’a pu que leur supposer ; en un mot, l’Art aussi noble qu’utile en lui-même, d’exprimer avec énergie les diverses passions des hommes, m’avait toujours paru mériter d’aller au moins de pair avec la Musique & la Peinture. […] Voila pourquoi ces infortunées, dont on a parlé dans le premier Volume de cet Ouvrage, lorsqu’une fois elles sont connues & deshonorées, ne gardent plus de mesures, & que notre sexe, dont la modestie & la décence sont le caractère, est, dans ce malheureux état, d’une impudence qui révolte jusqu’aux plus Libertins : Ayez des Comédiens que leur conduite précédente n’ait pas avilis à leurs propres yeux ; rendez à ceux qui cultiveront un art plus utile & plus estimable que ses partisans même ne l’imaginent, la place qu’ils doivent occuper parmi les Citoyens, place que le préjugé, de fausses vues & la jalousie leur ont ôtée, & vous verrez, s’il est possible que les Comédiennes soient aussi sages que d’autres femmes.