Le besoin que les hommes ont de se divertir est beaucoup moindre que l'on ne croit; et il consiste plus en imagination ou en coutume, qu'en une nécessité réelle. Ceux qui sont occupés aux travaux extérieurs n'ont besoin que d'une simple cessation de leur travail. Ceux qui sont employés dans des affaires pénibles à l'esprit, et peu laborieuses pour le corps, ont besoin de se recueillir de la dissipation qui naît naturellement de ces sortes d'emplois, et non pas de se dissiper encore davantage par des divertissements qui attachent fortement l'esprit. C'est une moquerie de croire qu'on ait besoin de passer trois heures dans une Comédie à se remplir l'esprit de folies. […] Ceux qui sentent en eux ce besoin, le doivent considérer non comme une faiblesse naturelle, mais comme un vice d'accoutumance, qu'il faut guérir en s'occupant sérieusement.
Il s'ensuit de là que tous ceux qui n'ont point besoin de divertissement, c'est-à-dire que la plupart de ceux qui vont à la Comédie, ne le peuvent faire sans péché, quand il n'y aurait point d'autre raison qui rendît la Comédie défendue. Mais il ne s'ensuit pas que ceux qui ont véritablement besoin de se délasser l'esprit, puissent y aller sans péché; parce que la Comédie ne peut passer pour un divertissement, ne pouvant avoir l'effet qu'il est permis de chercher dans le divertissement. […] Ainsi comme le besoin que nous avons de manger ne fait pas qu'il nous soit permis de manger des viandes, qui ne servent qu'à affaiblir le corps; de même le besoin de se divertir ne peut excuser ceux qui recherchent des divertissements qui ne font que rendre leur esprit moins propre à agir chrétiennement.
Il s'ensuit de là que tous ceux qui n'ont point besoin de divertissement, c'est-à-dire que la plupart de ceux qui vont à la Comédie, ne le peuvent faire sans péché; quand il n'y aurait point d'autre raison de la croire défendue. Mais il ne s'ensuit pas que ceux qui ont véritablement besoin de se délasser l'esprit puissent y aller sans péché, parce que la Comédie ne peut passer pour un divertissement, ne pouvant avoir l'effet qu'il est permis d'y chercher. […] Or tant s'en faut que la Comédie y puisse servir, qu'il n'y a rien qui rende l'âme plus mal disposée, non seulement aux principales occupations Chrétiennes, comme la prière, mais aux actions mêmes les plus communes, lorsqu'on les veut faire dans un esprit de Chrétien, c'est-à-dire recueilli et attentif à Dieu, qu'il faut tâcher, autant que l'on peut, de conserver dans les actions extérieures; ainsi comme le besoin que nous avons de manger ne fait pas qu'il nous soit permis de manger des viandes qui ne servent qu'à affaiblir le corps; de même le besoin de se divertir ne peut excuser ceux qui cherchent des divertissements qui ne font que rendre leur esprit moins propre à agir Chrétiennement.
Ceux qui sont destitués de toute occupation pénible, dont les jours se passent dans un cercle de promenades, de jeux, de visites, ont-ils besoin de délassements ? Ceux mêmes dont le travail n’a rien de sérieux ont-ils besoin de délassements, avec une vie qui est un délassement continuel ? Ceux qui sont occupés à des travaux corporels ont-ils besoin d’autres délassements que la cessation de ces mêmes travaux ? […] Ceux qui sentent ce besoin sont-ils autrement constitués que ceux qui vivaient du temps de saint Louis, qui s’en passaient bien ? Ceux qui se divertissent toujours, et qui sentent le besoin d’aller au spectacle, pour y trouver un remède au dégoût, qui accompagne naturellement la continuation des plaisirs, ne doivent-ils pas considérer ce besoin comme un vice d’habitude, dont ils doivent se défaire en s’occupant sérieusement ?
Si on avait laissé l’homme dans le chemin de la Nature, occupé journellement de la culture de la terre, qui fournit enfin à tous les vrais besoins, amusé alors, délassé par des plaisirs simples, il n’aurait pas eu besoin de l’art pour son bonheur. Mais depuis qu’on l’a enfermé dans des Villes où il y a tant de désœuvrés d’une part, et tant de gens trop occupés de l’autre ; ceux-ci ont besoin de spectacles, pour se délasser ; et ceux-là pour alléger le poids de leur existence.