Accidents arrivés dans les spectacles. 150 Chap.
J’ai tout lieu d’espérer que ce sujet, s’il doit être de quelque utilité, y parviendra bien plus sûrement sous cette forme nouvelle, que s’il n’eût paru que sur la Scène, cette prétendue école des Mœurs où l’Amour-propre ne vient reconnoître que les torts d’autrui, & où les vérités morales, le plus lumineusement présentées, n’ont que le stérile mérite d’étonner un instant le désœuvrement & la frivolité, sans arriver jamais à corriger les vices, & sans parvenir à réprimer la manie des faux airs dans tous les genres, & les ridicules de tous les rangs. […] Quelle destinée éternelle nous aura été assignée, lorsque cet Astre étincelant & rapide, arrivé au terme d’une nouvelle révolution, après une marche de plus de quinze lustres, reparoîtra sur cet Hémisphère ?
Sans prétendre qu’il arrive dans les hommes une métamorphose si générale, je ne désespère pas qu’une bonne partie des Spectateurs ne se déclare en faveur du nouveau Théâtre, par les motifs que j’ai présentés plus haut : quant à ceux qui ne goûteraient pas ces motifs, je suis réduit à les plaindre de ce qu’ils n’ont pas la force de secouer le joug d’une mauvaise habitude : j’avoue cependant qu’il pourrait bien arriver que, dans les commencements, l’affluence des Spectateurs ne fût pas grande ; mais en ce cas la caisse du Théâtre suffira, pour soutenir la dépense, avec ses propres fonds, et tous les autres secours que nous marquerons plus bas.
Mais ce n’est pas seulement celui qui peut probablement juger qu’une personne certaine péchera mortellement à l’occasion de la danse, qui se rend coupable de péché mortel : cela s’étend encore à tous ceux, qui sur ce que l’on sait arriver ordinairement, ont juste sujet d’appréhender en général, que dans l’assemblée qui se fait pour cet exercice, il y en aura qui pécheront grièvement.
Et c’est ce qui fait qu’il n’arrive gueres qu’on en sorte avec la même pureté d’ame qu’on y est entré. […] Et qu’arrive-t-il de toutes ces mascarades, je vous prie ? […] A la verité les desordres qui en sont déjà arrivez ne sont pas en grand nombre, parce que la chose n’est pas encore bien vieille, ni fort en usage. […] Car comme celui qui marche sur le bord d’un precipice quoi qu’il n’y tombe pas, ne laisse pas d’estre toûjours dans la crainte ; & il arrive souvent que la crainte le trouble, & le fait tomber dans le precipice : de même celui qui ne s’éloigne pas du peché, mais qui en est proche, doit vivre dans l’apprehension, car il arrive souvent qu’il y tombe. » Mais si saint François de Sales a donné quelque sorte de protection au bal & aux danses, les Conciles & les Peres ne leur ont pas esté si favorables. […] C’est par ce moïen que les ministres de cet esprit de tenebres trompent & séduisent les hommes. » Voilà ce qui a fait dire à Conradus Clingius, sçavant Theologien & celebre Predicateur de l’Ordre de saint Françoisa, que la danse n’est autre chose qu’un cercle dont le diable est le centre, & les démons la circonference ; & par consequent qu’il arrive rarement, ou plûtôt qu’il n’arrive jamais, qu’on danse sans peché : Chorea mundana est circulus, cujus centrum est diabolus, & circumferentia Angeli ejus circumstantes ; & ideo rarò aut numquam sine peccato fit.