que votre manière d’agir ne ressemble pas non plus à la sienne ; faites un usage raisonnable de vos richesses, ne soyez pas aussi avide ou si passionné à les accumuler, ne tenez pas aussi honteusement à des biens superflus ; employez-en du moins une partie à faire des bonnes œuvres, à prouver que vous êtes bon citoyen, bon père et bon ami, et surtout à soulager ceux qui manquent du nécessaire ; ils vous béniront, et vous recevrez de tout le monde les louanges dues à un homme sensible et libéral. […] Si ces observateurs, ne voyant pas bien que le tartufe dont il s’agit est en même temps tartufe de religion et de mœurs, que compromettre en le mettant en spectacle les vertus chrétiennes, ce fut aussi compromettre les autres vertus sociales qu’il avait besoin d’affecter aussi et qu’il affectait également, persistaient à croire que cette satire, qui ne regardait que les hypocrites de religion, n’a pu contribuer si puissamment à la démoralisation générale ; sans entreprendre de démontrer une seconde fois une vérité qui me paraît évidente, il suffirait à ma thèse de leur rappeler que la Criticomanie, comme pour consommer l’ouvrage du premier tartufe, nous en a donné plusieurs subsidiaires, et nommément un tartufe de mœurs ; personnage presque tout imaginaire, composé de différents caractères, de vices incompatibles, ou phénomène dans la société, auquel, au reste, on doit appliquer ce que j’ai dit de l’autre, fût-il même regardé comme un tableau fidèle, parce qu’il n’a été propre aussi qu’à faire triompher et rire le parti alors plus nombreux des hommes sans masques, et des femmes au courant, qui ne faisaient pas tant de façons, ainsi qu’à réchauffer leur bile et renouveler leur pouvoir, qui commençait à vieillir, de faire naître les défiances, et des soupçons injustes contre les personnes, et de travestir avec succès les meilleures actions. […] La plus dangereuse est la peinture à faux, dramatique, de l’homme et de la société, ou cette infidélité des tableaux vivants qui sont censés être ceux des mœurs ou de la vie commune de tel rang, de telle corporation, ou de tel âge ou bien de telles personnes que la malignité désigne, et qui vont être décriées, flétries, peut-être mises au désespoir ; il consiste aussi dans la solennité et l’éclat des représentations, avec tous les prestiges du théâtre ; c’est encore en réunissant la fiction à la vérité, en accumulant à plaisir les vices, en les combinant et faisant supposer une liaison naturelle entre eux ; c’est l’éternelle image des passions humaines les plus honteuses sous les traits sacrés de la vertu qu’enfin on ne croit plus voir nulle part qu’en apparence, que l’on méconnaît et décourage par trop de défiance, ou qu’on insulte par malignité ; enfin, c’est en créant ainsi et faisant agir avec toute l’énergie possible, sous les yeux de la multitude des personnages monstrueux qui servent d’excuse et d’encouragement aux méchants, qui font horreur aux bons et, comme je l’ai déjà dit, portent l’agitation dans les esprits faibles, l’inquiétude ou l’animosité dans les cœurs, exaltent la tête de tous, et vont de la scène publique provoquer la persécution, porter les désordres dans les scènes privées de la vie, où toutes les passions excitées imitent la hardiesse des auteurs, cherchent à réaliser leurs chimères jusques sur la vertu la plus pure : « Là de nos voluptés l’image la plus vive ; Frappe, enlève les sens, tient une âme captive ; Le jeu des passions saisit le spectateur ; Il aime, il hait, il pleure, et lui-même est acteur. » Voilà plus clairement comme il arrive que ces critiques vantées manquent leur but, sont de nul effet contre le vice audacieux, sur l’hypocrite impudent qui atteste Dieu et la religion en faisant bonne contenance au rang des victimes nombreuses des aggressions aveugles et des calomnies effrontées.
Mais qui ne voit en même temps que rien ne peut être plus impie et plus injurieux à Dieu que de le faire parler et agir sous la forme et le nom de Jupiter qui est un personnage réel qui ne peut ramener à l’esprit que des idées les plus infâmes et les plus honteuses.
Cicéron dit qu’on ne doit se prêter aux objets sensibles qu’avec une extrême réserve, parce que les impressions qu’ils font sur les organes agissent assez souvent sur le cœur avec une telle violence qu’on en est tyrannisé.
Molière veut peindre l’avare ; chacun des traits doit ressembler, c’est-à-dire, que l’avare ne doit agir et penser sur la scène que comme il pense et agit dans la société. […] De quoi s’agit-il dans George Dandin ? […] Il s’agit de l’amour que M. […] Pensez qu’il s’agit d’un homme perdu : tout est poison pour une telle âme. […] Il s’agit de le régler, c’est-à-dire, de l’éclairer sur son objet, et de lui tracer des limites.
Cet homme, de son aveu, a toujours agi contre sa conscience, sentant parfaitement l’infamie & le scandale de son métier. […] Ces images ne s’effacent jamais de leur mémoire ; ils agissent en conséquence quand ils jouissent de leur liberté : leur esprit & leur cœur sont corrompus pour le reste de leurs jours. […] Cette comparaison est prise du Discours 32 de Dion Chrysostome aux Athéniens, où cet éloquent Orateur les exhorte non-seulement à bien recevoir les avis qu’on leur donne pour la réformation des mœurs, & des personnes qui ont assez de zèle & de courage pour les leur donner, mais à bien distinguer les charitables moniteurs qui agissent par de bonnes vues, de ceux qui sont conduits par l’intérêt, la vanité, & qui détruisent par leurs exemples le bien qu’ils pourroient faire par leurs remontrances, comme sont les Comédiens. […] Nos petits théatres sont commodes, nous n’y sommes pas exposés au grand air, on voit, on entend facilement ; l’Acteur agit & parle naturellement, & peint tous les sentimens par le ton, le geste & le visage ; tout y fait une sensation bien plus vive.