Pourquoi les maximes du Monde même en excluent-elles ceux que leur état oblige à une sainteté plus particulière ? […] Vous me direz que vous êtes à la Cour, et que souvent à la Cour aller au spectacle est un devoir d’état.
Les désordres infinis du clergé de France excitèrent les craintes de la nation et du roi Henri III, aux états de Blois, tenus en 1588 ; le garde des sceaux de Montholon prononça dans cette assemblée, au nom de ce prince, un discours dans lequel on remarque le passage suivant : « Sa majesté demande donc d’abord au clergé puisqu’il est chargé de la réformation des autres, qu’il commence par se réformer lui-même, et donner bon exemple aux autres ordres de l’Etat. » Cette mercuriale, justement méritée et justement appliquée, devait porter le clergé à écouter la parole royale et le vœu de la nation, et à rentrer de lui-même dans les principes de l’Evangile et dans les dogmes apostoliques, qui indiquent et ordonnent aux ministres du culte une soumission entière à la volonté du prince ; mais loin de produire un effet aussi salutaire, aussi conforme aux préceptes de la religion, cette mercuriale ne fit qu’allumer le feu de la vengeance dans le cœur du clergé, et le prince qui l’avait ordonnée fut cruellement assassiné l’année d’ensuite par Jacques Clément prêtre et dominicain ! […] -C., il peut les priver de leur royaume, donner leurs états à un autre prince, et dégager leurs sujets de l’obéissance qu’ils lui doivent, et du serment qu’ils lui ont fait11. » Et après la mort de ce monarque, Busenbaum, célèbre jésuite, ne craignit pas de publier dans un de ses ouvrages : « Que l’action de Jacques Clément, dominicain, est une action mémorable, par laquelle il avait procuré à sa patrie et à sa nation le recouvrement de sa liberté ; que le massacre du roi lui fit grande réputation, et qu’étant d’une complexion faible, une vertu plus grande soutenait son courage. » De tels préceptes et de tels récits excitent l’indignation de tous les hommes de bien, en même temps qu’ils méritent toute la répression de l’autorité séculière.
De tout temps l’état de perfection a fait l’objet de l’admiration et des désirs des hommes sages. […] Ayant été ensuite corrigée, elle devint modeste et sévère ; mais elle ne resta pas longtemps dans cet état de pureté.
On conçoit sans peine après cela que, dans cet état d’exaltation morale, les accidents réels et ordinaires de la vie, le choc des passions sociales, pourront facilement porter à une triste et funeste réalisation. […] Ces théologiens, contre l’opinion d’un grand nombre d’autres, donnent pour raison que, dans l’espèce, cette simple assistance n’est point une grave coopération à l’entretien de la profession des acteurs ; ce qui ne nous parait pas exact : car qu’est-ce qui appelle sur le théâtre les acteurs, les entretient dans leur état, dans leur luxe, etc., si ce ne sont les spectateurs ? […] Les mêmes auteurs affirment qu’il n’y a nul péché à assister aux spectacles non obscènes, si pour cela il y a quelque raison de nécessité, d’utilité ou de bienséance d’état, decentia statûs, comme ils disent, en supposant toujours qu’il n’existe ni danger particulier ni scandale. […] Est-ce le résultat d’une amélioration ou d’un progrès moral dans l’état du théâtre, ou d’une heureuse réforme qu’il aurait subie ? […] Cet état anormal, ou cette perversion de la sensibilité, insensiblement amenée par les commotions les plus fortes, les affections les plus variées et les plus opposées des âmes déjà flétries et amollies, peut être portée au point d’altérer le caractère, de dépraver le sentiment, d’ouvrir la porte à toutes les maladies nerveuses, et produire enfin des anomalies ou des perturbations mentales ou affectives qui peut-être empoisonneront pour toujours la vie domestique et sociale.
le beau geste, le bel accent, la noble démarche, l’élégance de la parure, les grâces de la danse et du chant, la légèreté du dialogue, etc. frivoles avantages, mérite unique de ses amateurs, qui ne forment à l’Etat, ni le Magistrat, ni le militaire, ni le commerçant, ni l’artisan, ni père, ni fils, ni mari, ni épouse, ni citoyens, qui au contraire nuisent à tous les états et à toutes les professions, lorsqu’on les affecte ou recherche trop. […] Mais peut-être qu’en qualité d’Ecclésiastiques et de Religieux décidés par état pour la sévérité de la morale, ces trois Ecrivains paraîtront suspects, quoique les Jésuites aient été souvent lavés de la suspicion de sévérité ; mais le fameux Bodin, qu’on n’accusera ni de superstition ni de rigorisme dans sa République (L. […] Quelques-uns disent que ce qu’on entend à l’Opéra entre par une oreille et sort par l’autre ; mais ils oublient que le cœur est entre deux, et au sortir du spectacle on est moins en état de résister aux occasions dangereuses qu’en sortant du sermon. » On ne peut pas douter qu’elle n’eût été souvent au spectacle. […] Louis XII ayant trouvé des Conseillers au Parlement jouant à la paume, leur en fit de sévères réprimandes, et les assura que s’il les y trouvait encore, il ne les reconnaîtrait plus pour Conseillers, et n’en ferait pas plus d’état que du moindre cadet de ses Gardes. » Tous ces traits qu’on a inséré dans un nouveau livre (l’Esprit de Lamothe le Vayer), sont rapportés dans le Journal des Savants, février 1764. […] Quand l’expérience leur en eut fait sentir les inconvénients, ils firent, mais trop tard, bien des efforts pour l’abolir ; il éprouva bien des attaques et des révolutions ; on n’y souffrait point de siège, pour ne pas nourrir la mollesse, et ne goûter qu’en passant un amusement si dangereux ; on y était debout, comme dans le parterre, reste parmi nous de notre ancienne simplicité et de l’état où fut d’abord le théâtre, où on ne connaissait point de loges.