Ces choses ainsi distinguées, la question est, si ceux qui ramènent entre les Chrétiens ces jeux, et ces imitations de déguisements d’habits, de sexes, de paroles et de gestes, et qui en font métier en public, doivent être entretenus en cette façon de vivre ; et si les enfants de Dieu, obéissant à sa parole, peuvent en bonne conscience être leurs spectateurs, et auditeurs ? […] Car, (comme disait Sénèque ès livres de la République) jamais les Comédiens n’eussent pu faire approuver leurs ordures ès Théâtres, si la façon et coutume de vivre ne les eût favorisés ». […] Que dirait à présent Solon s’il vivait ? […] Pour ce, dit-il, qu’il appert que ceux qui suivent cette manière de vivre, étant lâches et paresseux, donnent publiquement un mauvais exemple. […] Il y a notamment, « une femme Comédienne, tôv epi skènès cc qui a servi à la scène », où Zonarus rend cette raison, « que telles femmes conversant sans honte avec tout le monde, et ne sont pas crues vivre pudiquement et chastement »52.
Entre lesquelles conditions si on en voulait choisir quelques-unes innocentes et exemptes de corruption, ce serait des Comédiens, des Jardiniers, et des Laboureurs : car y a-t-il personne au monde qui n’envie la condition paisible et tranquille de ces gens qui vivent innocemment de leur labeur, les uns apportant leurs choux, leurs arbres, et leurs fleurs aux Halles où à la vallée de Misère, et les autres sur le Théâtre, le travail des plus belles plumes. […] Que si la joie fait vivre selon la confession de tous ceux qui viennent à la Comédie, et au rapport des plus experts médecins : pouvez-vous trop payer cette médecine si agréable que vous prenez sans dégoût et sans peine ?
Ce qui a fait dire à saint Ambroise, au livre 1. des Offices : Prenons garde qu’en voulant relâcher notre esprit, nous ne troublions cette harmonie et ce concert de bonnes œuvres dans lesquelles nous devons vivre. […] Chacun sait que ce Saint embrassa la vie solitaire du désert aussitôt aprés son Baptême ; qu’il y vécu quelque temps avec S. […] qui n’êtes rien, et qui ne vivez que pour mourir ; jusques-à quand vous amuserez-vous comme des enfants, à des songes et à des imaginations trompeuses, etc. » Ce grand Saint était si éloigné des divertissements du monde, qu’aussitôt qu’il eut trouvé jour pour renoncer aux fonctions sacrées de l’Épiscopat, il s’enfuit dans la solitude pour passer le reste de ses jours dans les exercices de la vie Érémitique ; c’est-à-dire, mortifier ses sens par les veilles, par les jeûnes et par les prières. […] Cet exemple ne doit point passer sans explication, de peur qu’après la lecture de votre Écrit, ceux qui montent sur le Théâtre ne se mettent dans l’esprit, que leur état est aussi bon que celui des personnes qui travaillent à vivre dans une exacte piété, et dont vous ne parlez pas avec grand honneur sur le fait des aumônes. […] excepté ceux ausquels il est défendu par de justes raisons de s’en approcher : Et il en faut éloigner ceux qui en sont publiquement indignes ; c’est-à-dire, ceux qui sont notoirement excommuniés, ou interdits ; ceux dont l’infâmie est connue, comme les femmes débauchées ; ceux qui vivent dans un commerce criminel d’impureté ; les Comédiens, les Usuriers, les Magiciens, les Sorciers, les Blasphémateurs, et autres semblables pécheurs ; s’il n’est constant qu’ils font pénitence et qu’ils s’amandent, et qu’ils n’aient auparavant réparé le scandale public qu’ils ont causé.
Ceux qui sont nés dans les lumières de la Foi et de la Religion Catholique, ne rougissent-ils pas d’avoir part à ces œuvres de ténèbres : Mais vous, Mes très chers Frères, qui êtes sortis du sein de l’hérésie, quand ce ne serait qu’en apparence, dans le temps où vous viviez dans le libre exercice de vos erreurs, osiez-vous, ou par crainte, ou par conscience approcher de ces spectacles que vous fréquentez aujourd’hui.