Plus l’aveuglement est grand, plus le zele Evangélique doit éclatter ; & ne fût ce que pour jetter le trouble dans les consciences, la Vérité doit se faire entendre, & lancer tous ses traits. […] Le cœur ouvert à la séduction, reçoit bien-tôt le trait qui le blesse ; & tel qui étoit chaste avant d’entrer au spectacle, n’en sort point sans cesser de l’être. […] L’Auteur peut s’arrêter où il veut par un trait de plume ; mais il n’est pas le maître d’arrêter les effets que la représentation de ces inclinations prétendues honnêtes, fait sur le cœur de ceux qui y assistent. […] & plût à Dieu que des plumes hardies & téméraires n’eussent pas même osé nous peindre la sainteté sous ces traits, faire languir, soupirer, (Seigneur où étoit votre foudre ?) […] L’auteur, d’un trait de plume, modere, arrête un Héros à son gré ; mais le cœur une fois ému, ne reconnoît pas si aisément des bornes.
On y trouve, il est vrai, quelquefois des traits de maître ensevelis sous des tas d’ordures, et dans les meilleures mêmes il lui en échappe qui décèlent l’Arlequin et le libertin : « Naturam expellas furca tamen usque recurret. » Est-ce mauvaise humeur ? […] « C’est par là que Molière illustrant ses écrits, Peut-être de son art eût emporté le prix ; Si moins ami du peuple en ses doctes peintures, Il n’eût point fait souvent grimacer les figures, Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin, Et sans honte à Térence allié Tabarin. » M’écouterait-on, si je représentais que l’esprit d’irréligion, si funeste à tout le monde, et si commun au théâtre, se répand plus facilement dans le peuple, moins en garde contre la séduction, moins en état d’en repousser les traits et d’en démêler les pièges, lui dont la piété moins éclairée et plus simple confond aisément les objets, tient beaucoup plus à l’extérieur, et par conséquent peut être ébranlée à la moindre secousse, surtout quand on lui arraché les appuis nécessaires de l’instruction et des exercices de religion, en substituant le spectacle aux offices, et lui faisant oublier dans ses bouffonneries le peu qu’il sait de catéchisme, qu’on l’éblouit par le faste du spectacle, qu’on l’amollit par les attraits des Actrices, qu’on le dissipe par la science du langage ? […] Quelques défenseurs du théâtre ont cru lui sauver les anathèmes des saints Pères par un trait d’érudition. Ils ont dit que le spectacle contre lequel ils ont exercé leur zèle, était des jeux fort indécents, appelés Majuma, qui ne subsistant plus, laissent leurs traits sans application.
Ce mêlange bisarre de grandeur & de petitesse, d’éclat & d’obscurité, de laideur & de beauté, de richesse & d’indigence, de bassesse & d’orgueil, de grandeur apparente, & de petitesse réelle, d’éclat par les riches métaux dont on se couvre d’obscurité par les défauts & les vices personnels dont on se déshonore ; des beautés par des grâces achetées chez le Marchand, & appliquées par le Baigneur ; de laideur par les traits, la figure, la couleur donnée par la nature ; des richesses par la folle dépense que l’on fait, d’indigence par l’impuissance de payer ses dettes. […] Ce mêlange parut d’une manière frappante dans le Czar Pierre par les scènes bisarres, indignes de lui, qui le dégradoient, & le faisoient passer du trône d’un grand Prince au tabarinage des trétaux d’un Arlequin ; sa Cour étoit un théatre, comme il étoit l’Acteur le plus comique, il y jouoit tour à tour les rôles d’Empereur & de Valet, de Ministre & de Scaramouche ; nous en avons rapporté bien des traits en divers endroits de cet ouvrage : en voici qui n’a point d’exemple dans l’histoire. […] Voilà l’habit intérieur de l’innocence, on vous couvre d’un habit blanc qui en est le signe, conservez-le soigneusement ; rien d’impur ne peut avoir l’entrée de son Royaume, à ces traits on reconnoîtra que vous êtes de sa famille, il vous avouera pour ses enfans ; les traits de couleurs empruntées défigurent & lui sont toujours étrangères. […] Ce style est suranné, ces expressions passent aujourd’hui pour basses, mais il a de l’éloquence, de la force, de la vérité, le livre d’où ce trait est pris a joui de la plus grande réputation, couru de la Cour & de la ville, imprimé plusieurs fois, traduit en toutes les langues vivantes ; on ne le lit plus aujourd’hui. […] Fagnan ajoute deux traits d’histoire.
Le même Auteur, dans une autre Lettre, rapporte un trait fort plaisant. […] Molière même, qui ne s’embarrassait ni des Dieux ni des hommes, après quelque trait de ridicule dans son Amphytrion et dans sa Psyché, leur fait une réparation d’honneur et leur rend hommage comme ses confrères. […] Pourquoi donc nous priver d’une infinité de traits amusants que peuvent fournir ces sortes de pièces, d’autant plus piquants, que la plupart des hommes trouvent un goût singulier dans ce qui touche la religion, et que la religion en est comme la sauvegarde ? La perte de ces traits divertissants est légère, et ce serait les acheter bien chèrement, si c’était aux dépens de la vertu. […] Le serpent a beau par ses artifices écarter l’idée du crime, et y répandre des traits de ressemblance avec la Divinité ; instruire par ses chutes passées, la vertu se fiera-t-elle dans le centre du crime à de frivoles promesses qui la trompèrent dans le séjour de l’innocence ?