Toutes deux fourbes berçoient tout le monde de paroles & de promesse qu’on éludoit par des défaites, & qu’on ne tenoit pas. […] Lorsqu’après la mort de Marie, l’Ambassadeur d’Espagne la demanda en mariage pour son maître, elle répondit avec une effusion de reconnoissance, & une démonstration qui trompa un moment tout le monde : Ma personne, mon mariage ne peuvent payer les obligations que j’ai au Roi Catholique. […] Les deux Catholiques ne furent pas long-temps en faveur, quand elle crut pouvoir s’en passer, l’un fut disgracié, l’autre décapité ; la Cour fut toute Protestante ; elle amusa encore le Comte de Leicester par l’espérance d’un mariage qui ne se fit pas, ce n’étoit qu’une comédie où l’on jouoit tout le monde. […] Cette puérile mascarade dans un événement si tragique n’en imposa à personne, elle révolta tout le monde, on s’en moqua par-tout ouvertement. […] Elisabeth ajoute la dissimulation aux attentats, la fourberie à l’inhumanité, le deuil à l’assassinat ; ce n’est pas la conduite d’une femme d’esprit, on se fait mépriser quand on juge tout le monde si grossièrement dupe ; mais c’étoit son caractère, son art, son talent qu’on nomme politique, feindre, dissimuler, tromper.
Tel Henri IV, que tout le monde respecte : c’est en quelque sorte le peindre avec des haillons à la place Maubert. […] Pendant tout ce temps le théatre demeure vuide, comme si tout le monde étoit allé se battre ; la scène ensuite est dans le silence, comme si l’on attendoit la nouvelle de l’évenement du combat. […] Le Régent voulant consulter le Chancelier sur quelque affaire importante, le dit à la Cour, tout le monde garda le silence, personne ne voulut paroître lié avec un homme disgracié. […] Cette plaisanterie est devenue un vaudeville, que tout le monde a chanté avec attendrissement , dit-on : il falloit dire, en riant. […] Ce caractere qui plaisoit à tout le monde, & flattoit la vanité de ses Sujets, lui rendit plus de service que la guerre & les intrigues : il le fit monter sur le trône de ses ancêtres.
Que diront-ils maintenant qu’ils ne peuvent plus attribuer vos folies à la prétendue grossièreté d’un Climat étranger, puisque c’est en France et par des Jésuites Français qu’elles se sont commises, dans un Pays dont les habitants ne passent pas pour de bons Flamands, mais pour des esprits fort déliés, dans une Ville de Parlement, et aux frais de ses principales familles dont les enfants ont été vos Acteurs, et si on vous en croit, avec l’applaudissement de tout le monde ?
Vous laissez donc, Monsieur, penser chacun à sa fantaisie, & vous n’en estimez pas moins celui dont les sentimens ne sont pas les vôtres : c’est par le choc des opinions diverses que naissent les vérités, ou que l’on évite le triste ennui, la monotonie qu’on éprouverait si tout le monde était du même avis.