Les Critiques envieux, qui cherchent à ternir la gloire de notre Théâtre, lui disputeront ce nouveau mérite avec encore plus de chaleur que celui d’être l’ouvrage du gout & de la réfléxion. […] Non seulement notre Spectacle devrait profiter des leçons des grands Hommes, & se laisser guider à leurs avis, mais il devrait être aussi délicat, aussi gêné que les Théâtres qu’il peut surpasser. […] Le nouveau Théâtre change souvent les règles dramatiques. Il est bon d’avertir le Lecteur que si le nouveau Théâtre va quelques fois puisér des règles chez les Anciens, il se réserve toujours le droit de les entendre à sa fantaisie. […] Doivent-ils se piquer d’en faire d’avantage que les Auteurs des divers Théâtres, qui s’écartent, le plus qu’il leur est possible, des avis que le Philosophe Grec, qu’Horace, & d’autres Sages tels que lui, s’éfforcent de leur donner ?
Quand tous les Acteurs ont quitté le Théâtre, ce n’est pas parce que l’action cesse, mais parce qu’ils sont contraints d’aller agir hors de la Scène. […] Les autres Théâtres devraient mettre à profit un conseil aussi sage. […] A juger par l’accueil étonnant que l’on fait au Théâtre moderne, ses Poèmes ne sauraient avoir trop d’étendue ; à peine en serait-ce assez de leur laisser le champ vaste de six Actes. […] Il s’en fuit donc qu’il ne faut donner aux Pièces de notre Théâtre favori que l’étendue d’un Acte. […] Combien les Drames du nouveau Théâtre n’ont-ils pas de peine à prendre, lorsqu’ils contiennent trois Actes ?
Le théâtre doit instruire et divertir le public, mais les instructions de piété n’y doivent être ni fréquentes ni affectées, il faut qu’elles soient regardées comme des sentiments qui sont attachés aux caractères des Acteurs, et qui servent à l’action qui se passe sur la Scène. […] Quel attrait plus puissant pour réconcilier avec le Théâtre ceux qui en sont les ennemis déclarés ? Comme toute sorte de gloire appartient au siècle de Louis le Grand, après y avoir vu les duels et les blasphèmes abolis, l’hérésie exterminée, l’ordre et la discipline partout rétablis, il faut qu’on y voie la piété florissante au milieu des plaisirs, les Spectacles consacrés, le Théâtre sanctifié. […] J’avouerai qu’à l’examiner dans toute la sévérité de la règle, la critique est raisonnable ; mais s’il fallait s’en tenir à cette parfaite unité qu’on me demande, on aurait à reprocher ce défaut presque à tous les Ouvrages de Théâtre. […] Veut-on consacrer le Théâtre aux matières profanes, aux événements les plus horribles, aux parricides, aux empoisonnements, aux passions outrées, aux amours incestueuses.
Tragédies à conserver sur le Théâtre de la Réformation. […] Ma première idée avait été de faire l’examen de presque toutes les Tragédies du Théâtre Français : je voulais les placer chacune dans des classes différentes ; en distinguant celles que je conserve telles qu’elles sont ; celles que je conserverais, si elles étaient corrigées ; enfin celles que je rejette. Mais, de crainte d’ennuyer par un détail trop long, car je crois que cet examen seul ferait la matière d’un gros volume, je me suis restreint à un petit nombre de Pièces, qui suffiront cependant pour donner une idée des trois genres différents, sous lesquels les Drames de tous les Théâtres de l’Europe peuvent se ranger. […] C’est à eux qu’il appartient de dire leur sentiment ; si j’ai manqué par trop de complaisance ou par trop de sévérité, en adoptant, en souhaitant qu’on corrigeât, ou en rejettant les ouvrages de Théâtres que j’ai examinés. […] Lorsque je commençais, il y a plus de quarante ans, à étudier sérieusement le Théâtre, je trouvais d’abord, dans les Anciens et dans leurs Commentateurs, des règles qui choquèrent ma raison ; je fis bien des réflexions en conséquence ; mais, ne me fiant pas à moi-même et craignant de me tromper, je soumis mes lumières à la grande autorité de ces hommes qui, pendant plusieurs siècles, nous ont servi de guide, et je n’osais même communiquer mes doutes à personne.