Dans le tems que toute Piéce de Théâtre étoit imprimée en Espagne avec ce titre, Comedia famosa, è grande, les Ouvrages des autres Nations n’y étoient pas connus. […] C’est ainsi qu’a parlé de nos Poëtes un Italien habile, qui les connoissoit, parce qu’il avoit fait un long sejour parmi nous ; & Martelli qui avoit aussi vecu quelque tems à Paris, n’en a parlé qu’avec admiration. […] Comme il étoit plus aisé d’occuper leur attention par plusieurs avantures, que par une seule bien détaillée, & bien conduite ; les Piéces furent remplies d’avantures arrivées en différens tems, & en divers lieux. […] Dans le tems, dit-il, que je marchois avec beaucoup de peine, mais aussi avec beaucoup d’honneur par le beau chemin de l’excellent Théâtre François, M. […] Parce qu’elle fut représentée dans un tems très-favorable : les sentimens hardis sur la liberté-étoient alors à la mode, 2°.
La Tragédie considérée par cet endroit ne paraît pas plus mauvaise que les paraboles des Hébreux, les hiéroglyphes des Égyptiens, et les Emblèmes; les tragédies même des premiers poètes sont toutes morales, et pleines de sentences ; et s'il y en a quelquefois qui soient contraires à la vérité, il s'en faut prendre à la morale des Païens, et non pas à la Tragédie, qui rapporte comme vertueux ce qui passait pour vertueux en son temps, quoiqu'il eût le vice général de toutes les vertus païennes. […] La plupart des tragédies de Sophocle et d'Euripide sont de cette nature, et si les siècles suivants n'avaient pas ajouté plus de corruption dans le choix des sujets et dans la manière de les traiter, il serait bien difficile de blâmer la Comédie dans les Païens, quoiqu'elle fût toujours très blâmable dans les Chrétiens dont la vocation est si sainte et si relevée, que les Pères nous témoignent que les spectacles profanes leur ont toujours été interdits: mais outre cela, il est très certain que c'est à tort qu'on prétend justifier celles de ce temps par l'exemple des anciennes, rien n'étant si dissemblable qu'elles le sont. […] Ne voyez-vous pas l'amour traité de cette manière si impie dans les plus belles Tragédies et Tragi-comédies de notre temps ? […] Le récit même de la défaite des Mores y est fort ennuyeux, et peu nécessaire à l'ouvrage, étant certain qu'il n'y avait nulle rigueur en ce temps-là contre les duels, et n'y ayant pas d'apparence que la sévérité du Roi de Castille fût si grande en cette matière contre la coutume de son siècle, qu'il n'en pût bien pardonner deux par jour, même sans le prétexte d'une victoire aussi importante que celle-là. […] Voilà la Religion Chrétienne, voilà quelle doit être l'application de ceux qui la professent, voilà la doctrine de l'Apôtre saint Paul, ou plutôt celle du Saint-Esprit: et comme les exemples ont un grand pouvoir sur les hommes, dans le même temps que la Comédie nous propose ses héros livrés à leurs passions, la Religion nous propose Jésus-Christ souffrant, pour nous délivrer de nos passions.
Après le Bal, un esprit mondain, mille pensées des objets, qui ont frappé les yeux, des attachemens le plus souvent criminels… Le Bal & les Danses, tels qu’ils se pratiquent en ce tems sont criminels, parce qu’ils sont contraires à la profession du christianisme étant défendus par les Conciles, & par la Doctrine de l’Eglise, & une occasion de plusieurs pechez, & qu’il est rare, qu’on s’en retourne aussi pur, & aussi innocent qu’on y est allé… On ne peut nier que les Saints de l’ancien Testament, n’ayent quelque-fois témoigné leur joye par une espece de danse, mais c’estoit pour rendre graces à Dieu de quelque heureux succés, ou de quelque signalée faveur, qu’ils en avoient reçuë, & ces marques de rejoüissance étoient accompagnées d’un culte religieux, qu’ils rendoient au Seigneur. […] C’est pour pourquoi on ne peut authoriser, ni justifier les danses profanes de ce tems par l’exemple de celles que rapporte l’Ecriture… Nous voyons dans l’Evangile de Saint Matthieu chap. 14. que la danse a fait perdre la vie au saint Précurseur du Fils de Dieu, & que la tête de saint Jean-Baptiste, qui pouvoit, dit saint Chrysostome, convertir tout le monde, a été le prix d’une baladine. […] le tems viendra, que ces jeunes personnes, ces libertins, ces gens du monde condamneront avec indignation contre eux-mêmes avec une espece d’horreur de tous ces profanes divertissemens, mais en sera-t’il tems ?
Les autres vous diront peutêtre, que les spectacles modernes ne sont pas si infames & si libertins comme du tems de ces saints Oracles de l’Eglise ; ou que les piéces, qu’on joue au Theatre, n’ont rien de cette indecence, qu’elles avoient autrefois. C’est ainsi que quelques uns s’efforcent d’eluder les passages que nous alleguons, & de justifier les Comedies de ce tems. […] C’est mauvaise foi, que de nous dire, que le Theatre de leur tems étoit beaucoup plus libertin, que dans ce siécle-ci : les Empereurs en avoient déjà avant S. […] Il est des Autheurs des Comedies d’aujourd’hui, comme il a été de tout tems ; ils ont souvent recours à des saletés, parce qu’ils ne sçauroient plaire autrement : car comme l’interieur de la plûpart de ceux, qui s’y trouvent aujourd’hui, est aussi sensuel que dans les siécles de ces Peres, aussi voit-on, qu’aujourd’hui les Autheurs de ces piéces viennent à ce qu’ils ont de commun avec leur auditoire, & qu’ils en flattent la sensualité par des discours, qui passent d’ordinaire sous le titre d’expressions vives, parce que ces expressions allument un feu dangereux, & qui ne peut jamais être assez amorti.