Dans céte coniõcture que peut faire vn Chrestien qui doit necessairement estre idolatre, ou n’estre point spectateur. […] Tous les Demons president diuersement à ces disputes de course, de force, de vigueur des nerfs, de voix & d’instruments, qui ont pris origine dans la Grece ; les Demons sont arbitres de ces assemblées : Et si l’on recherche soigneusement la source de toutes ces illusions & de ces charmes trompeurs qui gaignent si subtilement la veuë & les oreilles d’vn spectateur, on la découurira dans vn mort, dans vn Idole, ou dãs vn Diable : c’est ainsi que ce rusé aduersaire preuoyant que l’Idolatrie route nuë & sans fard paraistroit mõstrueuse, & qu’elle dõneroit plus d’horreur que d’amour, s’auisa de la reuestir des spectacles, afin qu’auec le foïble plaisir dont ils sont meslés, elle pût cacher sa laideur sous vn visage est ranger. […] Le theatre est en mesme temps vne boucherie, & vn lieu d’ordures ; & l’on esgorge des hommes en suitte des jeux & des passe-temps pour apprendre aux spectateurs, que le fruict qu’ils remporteront de céte veuë sera glorieux, s’ils y ont apris à estre tout ensemble voluptueüx & sanguinaires. […] On nourrit auec delicatesse les lyõs, les tygres, & les leopards, pour les rendre plus habiles à déchirer les hommes ; & les cruels maistres qui ont le soin de ces animaux, & qui les dressent pour le plaisir des Spectateurs, les animent au carnage par mille artifices, & taschent de les mettre dans le comble d’inhumanité, qui peut-estre leur auoit esté denié par la nature. […] On estime gloire ce qui est vne pure folie ; & de moy i’estime qu’vn Spectateur seroit bien sage s’il reconnaissoit la vanité de tous ces exercices.
L’Abbé d’Aubignac les définit : des propositions générales, qui ne tiennent à l’action théatrale que par application & par conséquence ; où l’on ne trouve que des discours qui sont seulement propres pour instruire le spectateur aux régles de la vie civile, & non pas pour expliquer quelques intrigues du théatre. […] Il faut avoir une grande expérience pour les employer à propos ; il faut être consommé dans l’étude des Poëtes, & avoir mûrement observé leurs ouvrages, & réfléchi sur l’objet du théatre, sur le goût des spectateurs, & sur la nature des applaudissemens que l’ignorance accorde au tissu, à l’éclat emprunté des maximes mal enchassées.
Elle en est même plus insinuante, en se conformant au goût des spectateurs. […] Ils accordent d’abord que les pieces obscènes & impies ne sont pas permises, que les Acteurs pèchent en les jouant, les Auteurs en les composant, les spectateurs en les regardant, les Magistrats en les tolérant, les parens & les maîtres en y laissant aller leurs enfans & leurs domestiques. […] Une autre sorte d’indécence que l’habitude ne nous permet pas de sentir, c’est le mélange des deux sexes dans les spectateurs, dans les acteurs, dans les rôles. […] Le spectateur, par quelque faux jour, par l’éloignement, l’embarras de la foule, en perdît-il quelque trait, l’Acteur qui joue avec elle, saisit tout, il est obligé par son rôle de se repaître de cet objet, de lui marquer la plus vive passion. […] Le spectateur, témoin éloigné, étranger à la piece, en est ému ; l’Acteur, à qui tout s’adresse, & qui se le rend propre, sera-t-il insensible, pourra-t-il s’empêcher de réaliser ce qu’il joue ?
Le théâtre pense si peu à la produire, qu'elle l'anéantit, et de parfaits Stoïciens ne seraient jamais ni auteurs, ni acteurs, ni spectateurs ; que produiraient-ils ? […] « L'âme des spectateurs trouve en secret des charmes dans ce qui leur arrache et des cris et des larmes » : quelle âme barbare ! […] Le spectateur ne demande rien de plus. […] Peut-il se trouver des spectateurs à qui ces jeux plaisent ? […] Il faut à ce prix que les Acteurs et les Actrices, spectateurs et spectatrices, soient des saints du premier ordre, puisqu'ils voient et font voir tous les jours toute sorte de sottises.