Pourquoi sans nous émouvoir, rencontrons-nous quelqu’un qui ait le corps tordu et mal bâti, et ne pouvons souffrir le rencontre d’un esprit mal rangé, sans nous mettre en colère ?
Tel est l’Avare de Moliere, l’une de ses bonnes pieces ; l’avarice, l’usure, les amours d’un vieillard y sont tournées en ridicule, c’est un bien ; mais un fils qui insulte son père, une fille qui souffre dans sa maison son amant déguisé en valet, cet amant qui flatte les passions de son futur beau-pere pour le tromper, ce sont des rôles scandaleux, qui demeurent impunis, & qui réussissent ; ils font sur l’esprit des jeunes gens les plus funestes impressions ; ils doivent la faire proscrire ou corriger. Les tragédies des Grecs sont bonnes pour les mœurs, & quoique leur comédie ait souffert bien des variations, il y règne un fonds de vertu. […] Je ne puis souffrir que Néron se cache pour entendre la conversation de son rival. […] Les principes de religion qu’auront reçu nos petits neveux, ne leur permettrons pas d’en souhaiter d’autre, ils se féliciteront de la trouver parfaite ; & quand ils voudront jeter les yeux sur les pieces de l’ancien théatre, loin de les regretter, ils auront peine à comprendre que leurs ayeux en aient pu souffrir la licence.
Jamais les Juifs ne s’en sont avisés, la Synagogue ne l’eût pas souffert. […] Tout cela ne fût-il dangereux que pour un petit nombre de personnes faibles, devrait-on souffrir ce scandale public donné sans discernement à tout le monde ? […] On lui suppose un vœu de chasteté, dont l’Ecriture ne parle pas, et qui n’était pas alors connu ; et malgré son vœu elle écoute et souffre à ses genoux son adorateur, qui l’appelle beauté immortelle, et fait toutes les folies des amants de théâtre : elle lui répond sur le même ton. […] « On ne pût souffrir, dit Fontenelle dans la vie de son oncle, la seule idée du péril de la prostitution, quoiqu’on sût qu’il n’aurait point d’effet. » Il attribue la délicatesse du public au goût de décence que Corneille avait inspiré.
Cependant tout languit, le public souffre, la justice n’est pas rendue, les affaires s’accumulent et ne finissent point, vous vous nourrissez des vaines acclamations d’une populace insensée dont vous servez les vices, tandis que tous les honnêtes gens vous méprisent et condamnent votre négligence et votre frivolité : « Necessitas spectandi quorumdam tantum dierum et pomeridianum tempus liberum est ; hi vero quacumque diei parte veniunt. […] Ces questions n’ont pas lieu en France ; l’autorité royale a toujours réglé depuis plus d’un siècle la police des spectacles, et ne souffrirait pas que les Officiaux qui en jugeaient communément avec le Magistrat dans le seizième siècle, s’en mêlassent aujourd’hui. […] Les Confrères de la Passion, dont les jeux n’étaient que des exercices de religion, furent soufferts, jusqu’à ce que mêlant le sacré avec le profane, ils méritèrent la même animadversion, et cédèrent enfin leur hôtel à une nouvelle troupe qui s’éleva au commencement du dernier siècle, et fit disparaître l’ancien théâtre, et après bien des révolutions, des séparations, des réunions avec d’autres troupes, a pris enfin l’état fixe où nous la voyons aujourd’hui. […] N’eût-on égard qu’à son style, le Barreau de Paris, si fécond en Orateurs éloquents et en habiles Ecrivains, n’aurait pas dû pour son honneur souffrir dans le même tableau le nom d’Huerne de la Mothe à côté des Patrus et des Cochin.