Il n'y a guère eu que ce siècle-ci où l'on ait entrepris de justifier la Comédie, et de la faire passer pour un divertissement qui se pouvait allier avec la dévotion.
Sur quoi Tertullien commence par se railler de ceux qui raisonnaient ainsi : « Que l’ignorance des mondains, dit-il, s’estime habile, et qu’elle croit être éloquente ; surtout, quand elle appréhende d’être privée de quelque plaisir ou de quelque autre commodité que le siècle lui présente ! […] Enfin c’est être trop délicat pour un Chrétien que de chercher des plaisirs dans le siècle, et c’est une folie à lui de prendre pour plaisirs ceux que le siècle lui présente. « Dedicatus es Christiane, si et in seculo voluptatem concupiscis ; imo nimium stultus, si hoc existimas voluptatem. » Il suffit donc, selon Tertullien, que le plaisir de la Comédie soit un plaisir du siècle pour l’interdire aux Chrétiens. Or je demande présentement à notre Docteur, si le plaisir que l’on cherche dans la Comédie d’aujourd’hui, est un plaisir du siècle, ou si c’est un des plaisirs que Dieu a préparés aux hommes : car Dieu a ses plaisirs aussi bien que le siècle ; et « c’est une ingratitude honteuse à un Chrétien, dit encore Tertullien, de ne se pas contenter de tant de si agréables plaisirs que Dieu lui présente, et d’aimer mieux courir après les vains divertissements du siècle » : « Cur tam ingratus es, ut tot et tales voluptates a Deo contributas tibi satis non habeas et non recognoscas.» […] Comme si une méchante coutume effaçait le caractère et la consécration des Religieux et des Evêques d’Italie, et comme s’ils étaient moins obligés par leur état de « se priver des divertissements du siècle, et de ne se nourrir que de la lecture et de la méditation des saintes Lettres ».
Mais ce reproche, ne pouvons-nous pas l’adresser à une infinité de demi-Chrétiens qui veulent concilier Jésus-Christ & le monde, & jouir tout-à-la-fois des divertissemens du siècle, & des consolations de la piété ; à ces personnes de l’un & de l’autre sexe que l’on voit, tantôt prosternées aux pieds des saints Autels, priant avec des démonstrations de piété & de ferveur, écoutant avec respect la parole du salut ; & tantôt confondues dans la foule des mondains, imitant leur luxe & leurs vaines parures, prêtant l’oreille à leurs fausses maximes, partageant leurs plaisirs les plus frivoles & les plus dangereux ; à ces personnes, par exemple, qui, après avoir satisfait aux devoirs extérieurs de la piété, ne croient point en perdre le fruit & le mérite, en assistant aux Spectacles du théâtre ; & qui regardent comme permis & innocent, ce que l’Eglise a toujours condamné avec tant de sévérité ? […] Je sais, mes Frères, que la plupart des pièces de théâtre sont exemptes de ces grossières équivoques, de ces paroles licentieuses qu’on y entendoit autrefois ; les mœurs de notre siècle devenues plus décentes, sans être, en effet, plus pures, ont exigé qu’on donnât un frein à l’impudence, & qu’on retranchât ce qui choquoit trop ouvertement l’honnêteté. […] Ce fameux Comique, qui dans le dernier siècle a porté cet art dangereux à sa dernière perfection, mais dont la mort devroit donner plus de frayeur aux amateurs du Spectacle que ses ouvrages ne leur causent d’admiration & de plaisir, a, dit-on, corrigé les mœurs de son siècle ; c’est-à-dire, qu’il a détruit par la force du ridicule quelques restes de mauvais goût, d’affectation dans le langage & dans les manières : mais de quel vice réel nous a-t-il en effet corrigés ? […] Et cependant, on ne rougit point de mettre un tel homme au nombre de ceux qui ont le plus illustré leur siècle ; on porte la prévention & le blasphême jusqu’à dire qu’il a plus corrigé de défauts que les Ministres mêmes de la parole de Dieu.
La tragédie a donc tort, et donne au genre humain de mauvais exemples lorsqu’elle introduit les hommes et même les héros ou affligés ou en colère, pour des biens ou des maux aussi vains que sont ceux de cette vie ; n’y ayant rien, poursuit-il, qui doive véritablement toucher les âmes dont la nature est immortelle, que ce qui les regarde dans tous leurs états, c’est-à-dire, dans tous les siècles qu’elles ont à parcourir.