Qu’il est même ridicule de transporter les Acteurs d’une chambre dans l’autre. […] Je pense qu’il leur est permis de mettre en action toute la vie de leurs personnages, de sorte que leurs Tragédies sont l’histoire détaillée de leur Héros ; car je ne crois pas qu’ils ayent de Comédies ; parce qu’une action comique ou la peinture d’un ridicule, ne sçaurait être d’une si grande étendue qu’une action purement tragique. […] Plus on jouera cette Comédie, & plus cet endroit deviendra ridicule. […] Il est ridicule de leur donner tout-à-coup au milieu d’une Pièce des sentimens auxquels on ne s’attendait pas, & qui ne servent qu’à amener une belle Scène.
un lieu où sont représentés avec une étonnante précision tous les ridicules de la pauvre humanité, depuis ceux du prince assis sur le trône, jusques à ceux du pauvre couché sur la poussière ; où l’hypocrisie mise à nu, succombe sous le poids des anathèmes publics ; où la liberté trouve toujours des applaudissements, et la tyrannie des sifflets ; où le fanatisme excite l’indignation, la pitié ou le mépris, et où la charité, la tolérance sont toujours accueillies avec transports ; où enfin tout ce qui est juste, noble, généreux, désintéressé, trouve sympathie, et où l’on ne repousse que ce qui est contraire aux vrais intérêts des peuples et au bonheur de l’humanité : voyez l’épouse de Thésée, bourrelée de remords, et expirante au milieu des plus cruelles angoisses, victime d’une flamme coupablee ; quel cœur de femme n’a pas frissonné d’horreur aux accents de désespoir, de rage et de fureur de notre immortelle tragédienne dans le rôle de la belle-mère d’Hippolytef ! […] puisque le spectacle n’est qu’une critique de ce qui est mal, une censure des ridicules des hommes, qui vous autorise donc à en anathématiser les artistes ? […] Jusque là, ils avaient eu le privilège de l’impunité ; on n’avait pu mettre en scène leurs ridicules ; ils se fussent bien gardés de le permettre.
On sent le ridicule de ce raisonnement. […] Un bon esprit voit aisément le ridicule de ces fades plaisanteries, et il sait les mépriser. […] Les vieilles gens qui pourraient peut-être aller au bal sans intéresser leur conscience, seraient ridicules d’y aller ; et les jeunes gens à qui la bienséance le permettrait, ne le pourraient pas sans s’exposer à de trop grands périls.
D’ailleurs ce serait donner un grand avantage aux libertins, qui pourraient tourner en ridicule, à la Comédie, les mêmes choses qu’ils reçoivent dans les Temples avec une apparente soumission, et par le respect du lieu où elles sont dites, et par la révérence des personnes qui les disentc Mais posons que nos Docteurs abandonnent toutes les matières saintes à la liberté du Théâtre, faisons en sorte que les moins dévots les écoutent avec toute la docilité que peuvent avoir les personnes les plus soumises : il est certain que de la doctrine la plus sainte, des actions les plus Chrétiennes, et des vérités les plus utiles, on fera les Tragédies du monde qui plairont le moins. […] Aristote connut bien le préjudice que cela pourrait faire aux Athéniens, mais il crut y apporter assez de remède en établissant une certaine Purgation que personne jusqu’ici n’a entenduei, et qu’il n’a pas bien comprise lui-même à mon jugement : car y a-t-il rien de si ridicule que de former une science qui donne sûrement la maladie, pour en établir une autre qui travaille incertainement à la guérison ? […] Croyant faire les Rois et les Empereurs de parfaits Amants, nous en faisons des Princes ridicules ; et à force de plaintes et de soupirs, où il n’y aurait ni à plaindre ni à soupirer, nous les rendons imbéciles comme Amants et comme Princes.