D’ailleurs ce serait donner un grand avantage aux libertins, qui pourraient tourner en ridicule, à la Comédie, les mêmes choses qu’ils reçoivent dans les Temples avec une apparente soumission, et par le respect du lieu où elles sont dites, et par la révérence des personnes qui les disentc Mais posons que nos Docteurs abandonnent toutes les matières saintes à la liberté du Théâtre, faisons en sorte que les moins dévots les écoutent avec toute la docilité que peuvent avoir les personnes les plus soumises : il est certain que de la doctrine la plus sainte, des actions les plus Chrétiennes, et des vérités les plus utiles, on fera les Tragédies du monde qui plairont le moins. […] Comme les Dieux causaient les plus grands crimes sur le Théâtre des Anciens, les crimes captivaient le respect des Spectateurs, et on n’osait pas trouver mauvais ce qui était abominable.
« Quant à Mahomet, le défaut d’attacher l’admiration publique au coupable, y serait d’autant plus grand que celui-ci a bien un autre coloris, si l’auteur n’avait eu soin de porter sur un autre personnage un intérêt de respect et de vénération, capable d’effacer ou de balancer au moins la terreur et l’étonnement que Mahomet inspire. […] C’est un grand vice d’être avare, et de prêter à usure ; mais n’en est-ce pas un plus grand encore à un fils de voler son père, de lui manquer de respect, de lui faire mille insultants reproches, et, quand ce père irrité lui donne sa malédiction, de répondre d’un air goguenard qu’il n’a que faire de ses dons ? […] Le ridicule destiné à corriger les hommes de leurs extravagances n’est-il pas souvent jeté sur la droiture, l’innocence, la raison, la religion même pour laquelle tout devrait inspirer le plus grand respect ?
La dissipation, l’esprit du monde, l’irréligion, le peu de respect pour les choses saintes, les lectures, les conversations frivoles, qui sont la suite de ce goût, et en éteignent les remords, ont armé leurs ennemis et refroidi leurs amis, et les ont refroidis eux-mêmes et dans les études sérieuses et dans l’amour de la retraite et du recueillement. […] « Est-ce ainsi qu’on inspire du respect pour la religion, et qu’on en grave les principes dans les jeunes cœurs ? […] Il était réservé à notre siècle de voir de semblables horreurs, et à la Société de les enfanter, etc. » Ce n’est pas à nous assurément à entrer dans les affaires des Jésuites ; nous ne rapportons ce morceau que pour faire voir ce que les Magistrats pensent de la comédie, même des collèges, combien ils la croient opposée au respect dû à la religion, à la pratique des vertus chrétiennes, et à la bonne éducation de la jeunesse.
Il est vrai que la foule est grande à ses Pièces, et que la curiosité y attire du monde de toutes parts : mais les gens de bien les regardent comme des Prodiges, ils s’y arrêtent de même qu’aux Eclipses et aux Comètes : parce que c’est une chose inouïe en France de jouer la Religion sur un Théâtre, et Molière a très mauvaise raison de dire, qu’il n’a fait que traduire cette Pièce de l’Italien, et la mettre en Français : car je lui pourrais répartir que ce n’est point là notre coutume, ni celle de l’Église : l’Italien a des vices et des libertés que la France ignore, et ce Royaume très Chrétien a cet avantage sur tous les autres, qu’il s’est maintenu toujours dans la pureté de la Foi, et dans un respect inviolable de ses Mystères. […] L’Athée se met au-dessus de toutes choses, et ne croit point de Dieu : l’Hypocrite garde les apparences, et au fond il ne croit rien : le Libertin a quelque sentiment de Dieu, mais il n’a point de respect pour ses ordres, ni de crainte pour ses foudres : et le malicieux raisonne faiblement, et traite avec bassesse et en ridicule les choses saintes : voilà ce qui compose la Pièce de Molière. […] Molière devrait rentrer en lui-même, et considérer qu’il est très dangereux de se jouer à Dieu, que l’impiété ne demeure jamais impunie, et que si elle échappe quelquefois aux feux de la Terre, elle ne peut éviter ceux du Ciel ; qu’un abîme attire un autre abîme, et que les Foudres de la Justice divine ne ressemblent pas à ceux du Théâtre : ou pour le moins s’il a perdu tout respect pour le Ciel (ce que pieusement je ne veux pas croire) il ne soit pas abusé de la bonté d’un grand Prince, ni de la piété d’une Reine si Religieuse, à qui il est à charge, et dont il fait gloire de choquer les sentimentsq.