Comme on n’y apprend à juger des choses que par le sens, et à ne considérer comme subsistant et réel que ce qui les frappe et fait impression sur eux, c’est dans ces sens aussi que l’âme s’accoutume à se répandre toute entière.
Le Parlement connoissant le danger que fait courir aux bonnes mœurs le goût pour le théatre, si répandu dans notre siécle, pour former une postérité moins passionnée, ordonne (art. 49) que dans les Colleges il ne sera représenté en aucun cas aucune tragédie ou comédie ; il rappelle les statuts de l’Université de Paris, qui les proscrit absolument comme contraires aux bonnes mœurs ; c’étoit un abus dont Rolin & plusieurs instituteurs de la jeunesse ont toujours desiré la réforme. […] Collet comédie), c’est ici la même chose, les trois théatres sont trois lieux publics, qui entretiennent près de trois cents courtisannes, & en ont sous leurs aîles plus de mille ; ils sont plus dangereux que ceux d’Italie, les courtisannes actrices, sont plus séduisantes, plus exercées, mieux choisies ; elles s’étalent impunément, & dans les plus beaux jours, & se répandent par tout : on va au théatre & chez elles, on les appelle chez soi, sans craindre la police ; ces trois lieux fourmillent aussi des hommes courtisans pour les Dames, acteurs, danseurs, musiciens, ce qui n’est pas toléré en Italie. […] Son style aisé, naïf, mais noble & poli anonce un homme de condition, & fait gemir de ses égarements ; il a fait bien de voyages, il a trouvé la nation des comédiens répandue par toute la terre, par-tout semblable à elle-même, par-tout des acteurs débauchés, & des actrices comodes, agacentes, séduisantes, corrompues, qui l’ont enfin ruiné, brouillé avec sa famille, fait battre avec ses amis, l’ont abandonné pour d’autres amans, comme elles en avoient abandonné d’autres pour lui : par-tout, elles l’ont débarrassé de sa bourse, ont dérangé ses affaires, empêché sa fortune, troublé son répos, altéré sa santé, detourné de ses devoirs, perdu son ame ; il se montre cent fois au désespoir de ses désordres, changeant de conduite, voulant se convertir, embrassant un état, résolu d’en remplir les devoirs ; mais bien-tôt rentrainé, plongé plus que jamais dans l’abîme du libertinage, par les a traits & les artifices, ou plutôt par les fourberies, les piéges, l’hipocrisie de ces malheureuses, trop commun instrument de la perte de la jeunesse, & même de tous les âges ; car il a trouvé cent fois en son chemin, des gens d’un âge avancé, enfants de cent ants, d’une conduite insensée, dont le théatre causoit le délire ; il en a trouvé de tous les états, des Magistrats qui alloient y oublier le peu qu’ils savoient dé jurisprudence, & le peu qu’ils avoient d’intégrité ; des étudians qu’il empêche de rien apprendre ; des militaires dont il amortit le courage, énerve les forces ; blesse le corps des ecclésiastiques qui y prophanent la sainteté de leur état, tantôt osant passer du théatre à l’autel, tantôt quittant l’autel pour le théatre, oubliant le breviaire aux pieds d’une actrice. […] Richer a su apprécier les faits de cette cause singuliere, & en a sagement écarté les sornetteries & le sortilége qu’on y avoit répandu.
C’en étoit un encore de dorer les cheveux, l’histoire des voyages rapporte que les Negres sur la Côte d’or, & dans l’intérieur de l’Afrique, les Sauvages dans la Guyane & dans l’intérieur de l’Amérique méridionale, le long de l’Orenoque, où il y a beaucoup d’or, & où il se fait même un commerce de poudre d’or, ces peuples en répandent non seulement sur leur tête, mais sur-tout le corps, après l’avoir oingt de quelque matiere grasse, où elle s’attache, ce qui, en se séchant, forme une croute émaillée d’or, qu’ils trouvent fort agréable ; ce n’est pas le goût François, il n’y a point de femme qui pour l’usage de sa toilette, ne préfere le blanc & le rouge à la poudre d’or. Le goût dominant est la volupté, le plus sur moyen de plaire, est d’irriter les mouvemens de la sensualité ; par conséquens de fortifier, d’embellir, de conserver la couleur, la fraîcheur, la délicatesse du teint, c’est à-dire, la carnation naturelle, ce sont les Lys & les Roses, & non les paillettes d’or, qui vont au cœur ; l’or au contraire, au lieu de se fondre & de s’incorporer avec les couleurs naturelles, douces & tendres, tranche, tenir, donne un air rude, un ton livide, annonce la magnificence, mais n’allume point la passion, on le répandra sur les habits, par vanité, jamais sur le coloris par volupté. […] Ce seroit une erreur de penser qu’on fit dissoudre l’or, pour entrer dans la teinture un or portable qui se répandit comme la teinture ordinaire, comme une pommade est une chimere, & seroit une dépense énorme.) […] On ne sentoit plus la douceur, la légereté, les inflexions qui en expriment les nuances des sentiments, & donnent beaucoup de grace à la déclamation ; ils étoient en grand nombre ; on en avoit pour chaque rôle, ils représentoient des hommes, des femmes, des viellards, des jeunes gens, des princes, des esclaves ; l’acteur les prenoit en entrant sur la scéne, & les quittoit en sortant ; cet usage étoit commode, on n’avoit pas besoin de composer son visage : acteur, ou actrice, jeune ou vieux, laid ou joli, le visage étoit tout fait, & la tête toute coëffée ; mais aussi étoient-ils toujours les mêmes, on ne pouvoit ni peindre les mouvemens des passions, ni diversifier le feu des regards, ni répandre à propos les graces du souris ; & ce qui est le plus terrible pour une femme, sa beauté étoit cachée, & ne pouvoit faire de conquêtes ; on ne conservoit pas le chef-d’œuvre de la toilette, dont ces vilains masques dérangeoient toute l’architecture.
.), rapporte qu’Abdala, trente-unième Calife, chassa de tout son empire les Comédiens Grecs qui commençaient à s’y répandre. […] Le christianisme diminua un peu la grossièreté de ce scandale, pour ne pas révolter les idées de vertu que la religion répandit. […] Les choses n’ont point changé, quoique la politesse française, une police chrétienne, la piété de Louis XIV, le zèle des Ministres de l’Eglise, y aient répandu un vernis de décence. […] Les continuelles bénédictions qu’il plaît à Dieu répandre sur notre règne, nous obligeant de plus en plus à faire tout ce qui dépend de nous pour retrancher tous les dérèglements par lesquels il peut être offensé ; la crainte que nous avons que les comédies qui se représentent utilement pour le divertissement des peuples, ne soient quelquefois accompagnées de représentations peu honnêtes, qui laissent de mauvaises impressions sur les esprits, fait que nous sommes résolus de donner les ordres requis pour éviter tels inconvénients.