Les Poètes Grecs ont mis sur leur Scène des Souverains qui venaient de mourir, & quelquefois même des Princes vivans : ils se proposaient par-là de plaire à leur Partie, en rendant odieux le gouvernement d’un seul ; & c’était un moyen d’y réussir, que de rendre les Rois méprisables par un caractère vicieux, & l’exposition de faiblesses dont l’univers retentissait encore.
Je vous propose les moyens les plus simples de les rendre en même temps, honnêtes, utiles et agréables.
Je ne me propose pas de répondre précisément à votre Lettre, mais de m’entretenir avec vous sur ce qui en fait le sujet, et de vous communiquer mes réflexions bonnes ou mauvaises ; il serait trop dangereux de lutter contre une plume telle que la vôtre, et je ne cherche point à écrire des choses brillantes, mais des choses vraies. […] Le zèle dont vous êtes animé contre la Comédie, ne vous permet pas de faire grâce à aucun genre, même à celui où l’on se propose de faire couler nos larmes par des situations intéressantes, et de nous offrir dans la vie commune des modèles de courage et de vertu ; « autant vaudrait, dites-vous, aller au sermon » 15. […] C’est d’après un désir qui m’a paru presque général dans vos concitoyens, que j’ai proposé l’établissement d’un Théâtre dans leur Ville, et j’ai peine à croire qu’ils se livrent avec autant de plaisir aux amusements que vous y substituez.
La fin que je me suis proposée en les écrivant, a été de convaincre que l’excès, et sur-tout l’enthousiasme, dans quelque passion que donnent les humains, entraînent tôt ou tard dans l’égarement, et que pour se préserver de ces écueils et jouir des agrémens de la vie, il n’est d’autre moyen que de trancher dans le vif, en se privant sur le champ de la dissipation ou du plaisir qui vous entraîne, dès que vous vous apercevez que votre raison cède et n’a plus d’empire sur vos sens. » Je dirois volontiers à l’auteur que l’exécution de son conseil date d’une époque trop tardive. […] Concevoir une extravagance, et la faire adopter, c’est depuis quelques années une opération parfaitement synonime ; mais de toutes celles qu’on a proposées depuis qu’il y a des hommes qui déraisonnent, et depuis qu’il y a parmi les hommes ce qu’on appelle idée de mœurs et de décence publique ; je puis assurer que rien n’égale la promptitude, l’enthousiasme, je dis trop peu, la fureur avec laquelle on s’est emparé de la creuse et fatale invention qui dévoue la jeunesse au théâtre.