PRÉFACE J’ai tort, si j’ai pris en cette occasion la plume sans nécessité. […] Pour avoir droit de garder le silence en cette occasion, il faudrait que je n’eusse jamais pris la plume sur des sujets moins nécessaires.
Mais, à les prendre comme elles sont dans l’état actuel de nos mœurs et à les envisager au point de vue pratique, avec toutes leurs circonstances concomitantes, elles sont le plus souvent pleines d’écueils et de dangers pour l’innocence et la vertu. Purgez et épurez le théâtre, dépouillez-le de tout le prestige des passions et des intrigues érotiques, et réduisez-le à l’expression pure du beau, du grand, du sublime, du généreux ; dès-lors les spectacles, aux yeux de la multitude, perdront tout leur intérêt et le théâtre restera désert : preuve donc que les représentations scéniques, prises dans leur ensemble comme elles se font aujourd’hui, sont évidemment blâmables et doivent par conséquent être généralement interdites aux chrétiens, qui n’y rencontrent ordinairement que des occasions de chute et des périls évidents et certains. […] Le texte et l’exemple du jeune homme à conscience timorée sont pris de saint Liguori qui s’exprime ainsi : « Nullo autem modo à mortali excusarem adolescentem, qui absque necessitate, vellet curiositatis causâ hujusmodi comœdiis (notabiliter turpibus ut suprà dictum est) interesse, nisi quis esset valdè timoratus, et insuper pluries esset expertus, se, illas spectando, nunquam lethaliter peccasse ; modò suo exemplo aliis adolescentibus occasionem non præberet hujusmodi turpibus repræsentationibus assistendi ». […] Il ne faut donc prendre sur ce point leurs opinions qu’avec mesure et reserve. […] La poitrine se prend ; on s’adresse au magnétisme, aux somnambules, à l’omœopathie, à l’orthopédie, aux divinités chéries du jour, à Melpomène, à Thalie et à Terpsichore, c’est-à-dire aux spectacles et aux bals où l’on achève d’épuiser le peu de sensibilité qui reste encore et qu’on eût pu utiliser peut-être pour le rétablissement de la santé par un long séjour à la campagne.
Vous jugez bien que la plupart de ces troupes prennent plus de plaisir qu’elles n’en donnent. […] En voici une des plus canoniques : Cupidon à la guinguette ayant perdu son carquois, vit cette ébauche imparfaite du Peintre encor sous ses doigts : Prenons, dit-il, cette image, pour ranger les cœurs sous mes loix il n’en faut pas davantage. […] Il est pris par la trahison de deux filles de joie, & condamné au dernier supplice. […] Quel intérêt si grand peut on me faire prendre au salut de Rome sauvée, piece de Voltaire ? […] D’où vient la réputation d’un homme qui a si peu travaillé, & qui, à tout prendre dans la somme totale de son mérite, est fort médiocre ?
Je n’ai pas pris la plume précisément pour attaquer les Spectacles.