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127. (1768) Réflexions sur le théâtre, vol 7 « Réflexions sur le théâtre, vol 7 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE SEPTIÈME. — CHAPITRE III. Théatre de S. Foix. » pp. 52-75

La jeune Prêtresse médite, & commente amoureusement ce qu’elle voit, & ne pense guère aux hymnes qu’elle chante à l’honneur des Dieux. […] Elle n’y aura nul besoin de méditation & de commentaire, & ne pensera guère à quelque trait sententieux de morale qu’on y débitera. […] L’amant & la maîtresse pensent de même, malgré des parens qu’on trompe. […] Voilà l’air de famille de toutes ses pieces ; car parmi les éloges que l’Auteur se donne par-tout d’un air nonchalant, il fait beaucoup valoir que dans toutes ses pieces il n’y a pas une scène superflue, ni rien de superflu dans les scènes ; qu’au reste c’est un grand mérite, qu’il est plus difficile qu’on ne pense de traiter une action simple sans écart, sans remplissage, avec les seuls Acteurs absolument nécessaires, & ne faisant dire à chacun que ce qu’il doit précisément dire ; qu’il y a tant de variété & de fécondité dans son théatre, que les pieces n’ont pas même un air de famille. […] Un autre trait qui caractérise cet Auteur, & qu’il nous fournit lui-même, c’est ce qu’il dit des obscénités imputées à la Colonie, & dont il l’excuse : Je n’ai jamais eu garde de penser qu’on pût hasarder aujourd’hui certaines plaisanteries ; jamais les oreilles ne sont si délicates que quand la dépravation des cœurs est montée à son comble.

128. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre III. De l’Indécence. » pp. 21-58

Or que penserons-nous d’un spectacle qui nous vante les attraits de cette volupté pernicieuse, & qui nous contraint à nous livrer à ses impressions ? […] On a toujours pensé qu’un Ouvrage licencieux, écrit avec art, avec ménagement, était plus dangereux, trouvait plutôt le chemin du cœur, qu’un Livre qui ne nous laisse rien à deviner, & qui méconnaît le mérite des èxpressions fines & délicates. […] Voici les propres termes de l’Auteur immortel de tant de Tragédies célèbres : « Ce n’est pas même connaître le cœur humain de penser qu’on doit plaire davantage en présentant des images licencieuses ; au contraire, c’est fermer l’entrée de l’ame aux vrais plaisirs. […] Que penserait-on d’une jeune personne qui découvrirait ainsi son caractère ? […] Tâchons de nous dire au moins une partie de ce que nous pensons charitablement sur le compte des autres.

129. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE III. De la Comédie. » pp. 92-118

A cinquante ans il apprend à lire, il apprend la Philosophie, il apprend à tirer des Armes, il apprend à chanter, il s’habille comme les grands Seigneurs à ce qu’il croit, il a la sotte vanité de penser de lui qu’il est un habile homme en tout dès la première leçon, au point de vouloir déjà montrer aux autres, et cela me fait bien rire. » Vous avez raison de rire, tout cela est en effet très ridicule, mais si l’on n’a pas de plus grands reproches à faire à M.  […] Je puis me tromper, et je ne vous donne point mon avis pour une règle à suivre ; mais enfin je crois vous devoir dire avec franchise ce que je pense, autrement je répondrais mal, sans doute, à l’honneur que vous me faites de me consulter. » Oronte se rendrait peut-être avec plaisir à des vérités démontrées si poliment : mais point du tout, on appuie brusquement sur sa plaie, et loin de ménager sa faiblesse, le ton qu’on emploie pour le corriger est précisément celui dont on se servirait pour lui dire Vous n’êtes qu’un sot. […] Que diriez-vous de moi si pour toute réponse à votre politesse et à une marque de confiance si flatteuse, que diriez-vous, dis-je, si, comme je le pense, je vous disais brusquement, « franchement, il est bon, à mettre au cabinet » ? […] Lorsqu’Oronte vient lire un Sonnet, tissu de pointes réfléchies qu’il croit des bons mots, son Sonnet doit déplaire comme la pointe du Cardinal Janson : des jeux de mots pensés et médités ne peuvent pas produire d’autre effet. […] C’est une farce surchargée de traits si burlesques, qu’on ne pense pas à en tirer la morale qui en résulte, à savoir, que des Testateurs avares et cacochymes sont bien fous de s’imaginer que les empressements de leurs Légataires aient d’autre principe que l’intérêt de ceux-ci.

130. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE IV. Apologie des Dames. » pp. 119-155

On ne nous montre pas la Vertu dans les Collèges ; mais le Grec et le Latin ; c’est moins à nous rendre honnêtes gens que l’on pense qu’à nous donner un peu d’esprit et quelque vernis de savoir : cependant cette raison ne justifie pas les hommes, nous avons l’orgueil de penser que nous avons l’Ame naturellement plus élevée que les femmes, et nous nous croyons fort au-dessus de leurs faiblesses : nous prétendons avoir le cœur mieux fait et l’esprit plus solide ; c’est ce qui nous reste à prouver. […] Je ne vois moi qu’une brutalité blâmable dans la colère de votre Spartiate qui ne veut pas entendre l’éloge d’ « une femme de bien »dz  : je m’imagine lui entendre dire encore ce qu’il pensait apparemment ; si cette femme est sage, elle ne fait que son devoir : mais on est très louable en ne faisant que son devoir, quoiqu’en se dispensant de toute œuvre de surérogation. […] Dès que l’original paraîtra vous me saurez gré de mon scrupule, il me suffit de vous avoir prouvé par ce peu de vers qu’elle sait penser en grand homme. […] S’il y a très peu de femmes qui pensent et parlent comme Cénie et comme Constance, c’est que les hommes qui les environnent ont grand soin de les distraire et de les empêcher de prêter trop attentivement l’oreille à de pareils précepteurs. […] Du temps de César, les féroces Germains pensaient comme vous sur le compte de leurs femmes, ils les menaient à la guerre avec eux ; ils étaient bien plus sages alors qu’aujourd’hui, n’est-ce pas ?

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