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63. (1769) Réflexions sur le théâtre, vol 8 « Réflexions sur le théâtre, vol 8 — RÉFLEXIONS. MORALES, POLITIQUES, HISTORIQUES, ET LITTÉRAIRES, SUR LE THÉATRE. LIVRE HUITIEME. — CHAPITRE I. Réformation de Riccoboni. » pp. 4-27

Les Romains avoient des esclaves & des affranchis, toujours prêts à servir leurs passions, souvent les premiers à les corrompre. […] Cette passion, vue de loin dans des personnes qui s’aiment, dont même on n’entend pas les discours, peut faire la plus vive impression. […] On n’a pas besoin d’apprendre à sentir une passion que la nature n’inspire que trop ; mais on a extrêmement besoin d’apprendre à la réprimer. […] L’amour théatral est donc nécessairement une passion criminelle, qui pour instruire devroit être toujours suivie de malheurs. […] Cette action ne peut inspirer que des maximes dangereuses, & apprendre à métaphysiquer sur une passion dont les suites peuvent aisément devenir funestes.

64. (1758) Lettre à Monsieur Rousseau sur l'effet moral des théâtres « Lettre à Monsieur Rousseau sur l'effet moral des théâtres, ou sur les moyens de purger les passions, employés par les Poètes dramatiques. » pp. 3-30

Lettre à Monsieur Rousseau sur l'effet moral des théâtres, ou sur les moyens de purger les passions, employés par les Poètes dramatiques. […] Les Poètes dramatiques ont-ils trouvé des moyens de purger les passions ? […] Et vous, Monsieur, si vous persistiez à prouver que l’art dramatique ne consiste pas à purger les passions, je vous dirai aussi : lisez Britannicus. […] D’abord, je conviens que je suis un de ces partisans du théâtre, qui vous diront que si les Auteurs abusent du pouvoir d’émouvoir les cœurs, cette faute doit être attribuée aux Artistes, et nullement à l’art même : et j’avoue qu’en consultant mon cœur, à la fin de plusieurs pièces dramatiques, je me suis senti plus disposé à régler mes passions, qu’après avoir lu tous les Moralistes anciens et modernes : j’avoue aussi ingénument que je ne conçois pas comment « le théâtre purge les passions qu’on n’a pas, et fomente celles qu’on a. » Cette métaphysique est trop au-dessus de mon faible entendement : je la respecte donc, et me contente de prouver qu’il purge en nous les passions, que nous avons, par des moyens plus sûrs, quoique plus agréables, qu’aucun de ceux qu’ont employés tous les Philosophes, et tous les Ecrivains sacrés et profanes. […] Ce n’est point par de froids raisonnements, que l’esprit de l’Auteur parle à l’esprit des spectateurs ; de pareilles armes s’émoussent trop aisément contre des passions : c’est la passion même du devoir, c’est l’amour de la vertu qui nous enflamme, parce que Palamède en est lui-même enflammé.

65. (1768) Instructions sur les principales vérités de la religion « CHAPITRE LII. De la Comédie et des Spectacles ? » pp. 142-146

Tout ce qui est capable de réveiller les passions, d’exciter la concupiscence de la chair et des yeux, et l’orgueil de la vie, s’y réunit. […] Quant aux sujets qui sont le fond et la base de la comédie, sans compter les bouffonneries, les extravagances, les sauts et les gestes dissolus ; ces femmes et ces Acteurs qui exposent leur vie en se balançant, en voltigeant indécemment sur des cordes, que voit-on dans le reste, qu’une peinture des passions, plus propre à les exciter qu’à les éteindre. […] En vérité, un Chrétien se peut-il croire innocent dans le plaisir qu’il prend à voir, à entendre ce qui excite en lui tant de passions différentes ? Et, quand il serait sans passion, lui est-il permis de voir avec danger, et d’aimer avec complaisance les représentations des choses qu’il doit détester ? […] D’ailleurs le plaisir de voir, d’entendre, de goûter ce qui agitait en vous tour à tour différentes passions, ne sont-ce pas autant de tentations ?

66. (1762) Lettres historiques et critiques sur les spectacles, adressées à Mlle Clairon « Lettres sur les Spectacles à Mademoiselle Clairon. — LETTRE VII. » pp. 115-130

Mais ne cherche-t-on pas dans les Spectacles à flatter les passions humaines, sans toutefois choquer les bienséances ? […] La galanterie est plus assortie à nos mœurs, on ne la veut point révoltante, elle a besoin d’une gaze pour paroitre aimable : une passion qui causeroit de l’horreur étant vue en son état naturel, devient intéressante par la maniere ingenieuse dont elle est exprimée : celle-ci sert à déguiser le poison que l’on fait prendre dans du miel, dit S. […] Les obscénités que Moliere a supprimées, n’ont point reformé le Théâtre : l’expression ne change rien au fond des choses ; elle ajoute quelquefois certaines idées qui marquent la passion, c’est-à-dire, l’affection ou le mépris ; mais ces idées accessoires ne suivent pas constamment, elles varient selon le changement des tems & des usages. […] Les passions se produisoient sur la Scène destituées de vraisemblance, on n’offroit aux Spectateurs que des intrigues froides, sous des masques ridicules, dont le jeu étoit plus injurieux à la raison, que contagieux pour la chasteté. A présent tout s’y trouve conforme au génie délicat du siécle ; les portraits sont tirés d’après nature, il régne dans toute la piece une illusion séduisante ; le cœur qu’elle a le don d’intéresser, se suppose volontiers en la place des interlocuteurs, & puise des vices réels dans le spectacle des passions imaginaires.

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