Il déclare qu’il excelle par la peinture des Passions, l’art de les émouvoir, la beauté des expressions, & la pureté du langage : mais il nous reproche à tous en général de faire parler à la Françoise, les Héros de l’Antiquité, de même que nous les faisons paroître sur le Théâtre avec des parures Françoises, ensorte qu’on les pourroit appeller selon lui, M. […] Si leurs Piéces de Théâtre étoient faites avec ordre & bien conduites, elles feroient bien plus de plaisir, parce qu’elles exciteroient les Passions qu’elles doivent exciter. […] Enfin comme il étoit plus aisé de faire parler aux Passions tout autre langage que le leur, ont prit un style outré, & voici la troisiéme cause du désordre général. […] Tout Poëte connoissant son Art, en traitant ce Sujet, aura pour objet d’inspirer l’horreur d’une Passion qui a des suites si terribles : l’objet de Dryden paroît tout contraire.
Voici ces vers fameux : « Pour mérite premier, pour vertu singulière, Il excelle à traîner un char dans la carrière, A disputer des prix indignes de ses mains, Et se donner lui-même en spectacle aux Romains. » La comédie peut tout au plus corriger des ridicules, mais jamais guérir des passions. […] Il tend des pièges, et se moque de celui qui s’y laisse prendre, et ne prévoit pas qu’il souffrira un jour des mêmes passions qu’il a allumées pour en abuser. » Les Grecs, il est vrai, dans le premier âge de la comédie, n’épargnaient pas même les plus grands de la République. […] C’est bien à une Actrice qu’ils payent pour servir à leurs plaisirs, qui est la première à les corrompre, qui vit des passions qu’elle inspire, c’est bien à elle à prêcher la réforme ? […] Cette sévérité superficielle, quoique gênante pour les Comédiens, n’est pourtant qu’un sacrifice médiocre ; ils savent s’en dédommager en particulier, et obtiennent toujours leur principal objet, qui est de gagner de l’argent, de séduire les cœurs, d’entretenir l’oisiveté et les passions.
LE Royaume de Pologne est depuis plusieurs années le théatre ou plutôt le cahos des passions humaines : elles y sont d’autant plus violamment déchaînées qu’aucun frein ne les arrête, & que les plus grands intérêts les animent. […] Ce conseil permanent des passions sera bien plus accrédité que le conseil permanent de la nouvelle République. […] Les folles depenses que vous faites pour satisfaire vos passions, votre luxe, votre gourmandise, aggravent la misere publique, & prouvent que les objets dont vous vous occupez le moins sont les intérêts du peuple & les affaires dont vous êtes chargés. […] Tous les goûts seront satisfaits, c’est-à-dire, toutes les passions, tous les vices. […] Deux seigneurs se prirent d’une belle passion, l’un pour un acteur, l’autre pour une actrice.
Le théâtre est si opposé aux règles de la piété chrétienne, si généralement réprouvé par tout ce qu’il y a eu de pieux et d’éclairé dans tous les siècles, il porte si clairement sur le front l’empreinte de tous les vices, il est si évidemment l’aliment de toutes les passions, l’expérience et la conduite de ceux même qui le défendent, fait si vivement sentir combien il est funeste à la religion et aux mœurs, qu’on ne peut ni blâmer le zèle qui en éloigne les fidèles, ni dissimuler le scandale que donnent ceux qui y vont, fussent-ils eux-mêmes innocents : « Et peribit in tua scientia frater ? […] 395.), parle d’un Magistrat nommé Olibrius, Préfet de Rome, si enivré de la passion du théâtre, qu’il y passait la vie. […] On ne connaissait alors que les Mystères des Confrères de la Passion, qu’ils voulurent imiter, et qui étaient des exercices de religion. […] Les Confrères de la Passion, dont les jeux n’étaient que des exercices de religion, furent soufferts, jusqu’à ce que mêlant le sacré avec le profane, ils méritèrent la même animadversion, et cédèrent enfin leur hôtel à une nouvelle troupe qui s’éleva au commencement du dernier siècle, et fit disparaître l’ancien théâtre, et après bien des révolutions, des séparations, des réunions avec d’autres troupes, a pris enfin l’état fixe où nous la voyons aujourd’hui. […] On fait la comparaison blasphématoire de la comédie, non seulement avec les panégyriques des Saints dans la chaire, mais encore avec les cérémonies de l’Eglise dans la semaine sainte, et à l’usage de certaines Eglises où la passion est chantée par trois personnes.