Quand je parle des vieillards, ce n’est pas pour excuser la jeunesse qui y court à sa perte ; car si cette passion est honteuse & ridicule pour les vieillards, elle est bien plus dangereuse pour la jeunesse. Le précipice est pour elle bien plus profond, car le feu des passions est plus vif, il n’y faut qu’une étincelle pour allumer l’incendie, le cœur plus facile à séduire ; elle a besoin de plus de précaution & de vigilance, & d’un frein plus sévère. […] Ici, comme dans toutes les passions, un plaisir d’un moment, & un regret éternel du vice, une peine d’un moment, & une éternité de délices dans la vertu : Vitium momentaneum habet voluptatem dolorem perpetum, virtus laborem omnem fructum œternum. […] Le vieillard rase sa pudeur avec ses cheveux, prêt à tout dire, à tout entendre, à tout faire ; des femmes sans voile & sans honte paroissent & par, lent hardiment sur la scène, elles semblent avoir fait une étude réfléchie de l’impudence, & répandent si bien le poison de l’impureté dans les y eux & les oreilles des spectateurs, qu’on diroit qu’elles ont conspiré d’attacher jusqu’aux racines de la modestie, de déshonorer la nature, & de rassasier leurs passions par la plus infame volupté.
Je ne parle pas des paroles licencieuses, des maximes pernicieuses, des emportements, des passions, des jurements, des médisances, des mensonges, des impiétés, des bouffonneries, des folies, dont les oreilles sont à tout moment frappées ; tout cela, bien plus qu'inutile, ne sera pas sans doute oublié dans le compte que vous avez a rendre. […] Qu'on l'appelle amour, intrigue, passion, coquetterie, galanterie, désirs, infidélité, etc. sous le masque de tous ces divers synonymes, c'est toujours le vice qui en fait le fonds, c'est du vice qu'on parle : « Nec nominetur in vobis. […] C'est un art de présenter le corps humain dans tous les jours et les attitudes capables de plaire, et en faire un portrait de toutes les passions. […] Il est inutile de dire que rien de tout cela n'a du rapport à nos théâtres, et ne peut justifier les pièges que tend à l'innocence l'assemblage de tout ce qui allume les feux criminels de la passion par la danse réguliere.
Ces passions dont il expose le conflict à nos yeux, il ne les a donc point conçues ?. […] Le même Auteur dit encore : « La voix, le ton, le geste, l’action, voilà ce qui appartient à l’Acteur ; & c’est ce qui frappe dans le spectacle des grandes passions. […] De même, si on vante un Acteur, c’est d’avoir bien senti & bien rendu les idées du Poëte, & les passions qu’il a exprimées.
Les matieres, qui s’y traitent, ne sont ordinairement, que d’amour, & de ses intrigues, car le théatre ne plairoit plus, si cette passion n’en faisoit l’ame : L’expression, qu’on en fait, est par la déclamation la plus douce, la plus animée, & la plus transportée : L’ajustement d’une comédienne n’a rien, qui ne respire je ne sçay quoy d’impur, par la nudité de sa gorge, par son geste mol, & affecté, & par son action efféminée. […] Comment donc une personne, qui fréquente le Théatre, sera-t’elle capable d’aucun sentiment Chrêtien, ne remportant de là, qu’une teste pleine d’idées douces, & charmantes, & de toutes les passions foles, & imaginaires, que la déclamation d’un Comédien luy a pû representer ? […] Et après tout cela, n’est-il pas étonnant, que pour se jetter dans le danger de son salut, que pour perdre souvent son innocence, que pour pécher souvent mortellement, l’on aille à la comédie avec autant de chaleur, & de passion, qu’aux plus fameux Prédicateurs ; qu’on y trouve même plus de goût, & que l’on coure, comme au feü, à la nouveauté de quelque piéce ?