Il n’est point de roman plus connu, plus lu, plus estimé ; &, si de pareils ouvrages pouvoient le mériter, il n’en est point qui le mérite davantage. […] Il n’est ni moins vigoureux, ni moins attaché à son maître, ni moins entêté d’aventures dans tout cet ouvrage, comme dit Horace, velut ægri somnia vanæ finguntur species . […] Si, comme un habile chymiste, quelque bon écrivain prenoit la peine de décomposer cet ouvrage, & d’en séparer les matériaux : il seroit d’un côté un ouvrage instructif, & de l’autre une rapsodie digne d’avoir une place dans la bibliotheque bleue, à côté de Gargantua.
Les meilleurs Auteurs modernes s’attâchent à mettre dans leurs ouvrages de Théâtres cette règle nécessaire, qu’on ne sçaurait enfreindre sans détruite toutes les autres. […] Diderot tombe dans le défaut qu’il a sujet de reprocher aux Auteurs dramatiques, on doit en conclure que ce défaut est difficile à éviter, & qu’on à lieu de craindre de le laisser glisser dans ses Ouvrages, si l’on ne se tient soigneusement sur ses gardes. […] On peut encore en voir la cause dans l’esprit, dans la manière de penser des hommes, qui ne sont jamais les mêmes : tant la Nature est variée dans tous ses ouvrages ! […] Si l’on apperçoit des différences éssentielles dans la peinture que les Poètes d’un même pays nous font de leurs personnages ; on en découvre de plus frappantes dans les ouvrages dramatiques des Auteurs de chaque Nation.
Voilà pourquoi nous rencontrons dans les Tragédies, des Vers qui ne paraissent que l’ouvrage du Poète. […] Il ressemble à ces fleurs artificielles qui ne frappent la vue qu’autant qu’elles ont la couleur & l’éclat des fleurs qu’elles représentent ; c’est l’ouvrage de l’art le plus recherché qui prend la forme & les traits de la Nature même. […] Homère en fournit la preuve dans ses Ouvrages immortels. […] Le Dialogue est ordinairement passable dans ces sortes d’ouvrages ; & à peine digne d’être souffert dans ceux qui ne sont faits que pour lui.
Après ce petit avis que j’ai cru utile de donner à quelques-uns de nos faiseurs, j’en viens à l’ouvrage de M. le baron d’Hénin, qu’à son titre, bien qu’il ne soit pas très clair, j’ai jugé devoir présenter des faits et des raisonnements susceptibles de fixer mon opinion sur une question intéressante : L’état des comédiens sous le point de vue religieux ; question d’ordre social qui se reproduit sans cesse, et qui ne se reproduit jamais sans altérer momentanément la paix publique. […] Je suis sûr que le titre militaire qui décore ce nom inspirera d’abord quelques doutes au lecteur sur le mérite de l’ouvrage. […] Mais on sera détrompé en lisant cet ouvrage ; il est plein de recherches curieuses ; il atteste une instruction solide, et je ne sais trop ce que l’on peut répondre aux faits que l’auteur a réunis pour appuyer son système dans la question. […] L’espace me manque pour parler de la fin de ce volume où l’auteur a rassemblé des détails piquants sur une foule de cérémonies des diverses églises de France, toutes plus ou moins analogues à ces mystères qui ont donné naissance à notre théâtre : je renvoie à l’ouvrage même le lecteur qui sera curieux de lire le récit des offices où chaque antienne était terminée en chœur par ce refrain harmonieux : Hin !