Car si en ce lieu où l'on chante les Psaumes, où l'on explique la parole de Dieu, et où l'on craint et respecte sa divine Majesté ; la concupiscence ne laisse pas de se glisser secrètement dans les cœurs, comme un subtil larron; Ceux qui sont toujours à la Comédie, où ils ne voient et n'entendent rien de bon, où tout est plein d'infamie et d'iniquités dont leurs oreilles et leurs yeux sont investis de toutes parts; comment pourront-ils surmonter la concupiscence ? […] N'avez-vous point horreur d'entendre les paroles impudiques d'une Comédienne, des mêmes oreilles que vous entendez les paroles d'un Prophète qui vous introduit dans les mystères de l'Ecriture ? […] Les lois des Païens rendent les Comédiens infâmes, et vous allez en foule avec toute la Ville pour les regarder sur leur Théâtre, comme si c'était des Ambassadeurs, ou des Généraux d'armée, et vous y voulez mener tout le monde avec vous pour emplir vos oreilles des ordures et des infamies qui sortent de la bouche de ces bouffons; vous punissez très sévèrement vos serviteurs lors qu'ils disent chez vous des paroles peu honnêtes ? […] Quand vous entendez des personnes qui blasphèment ; vous ne prenez point plaisir à ce qu'ils disent ; vous frémissez au contraire ; et vous vous bouchez les oreilles pour ne les point entendre. […] On y voit des femmes qui ont essuyé toute honte, qui paraissent hardiment sur un Théâtre devant un Peuple ; qui ont fait une étude de l'impudence, qui par leurs regards, et par leurs paroles répandent le poison de l'impudicité dans les yeux et dans les oreilles de tous ceux qui les voient, et qui les écoutent, et qui semblent conspirer par tout cet appareil qui les environne à détruire la chasteté, à déshonorer la nature, et à se rendre les organes visibles du Démon, dans le dessein qu'il de perdre les âmes ; enfin tout ce qui se fait dans ces représentations malheureuses ne porte qu'au mal : les paroles, les habits, le marcher, la voix, les chants, les regards des yeux, les mouvements du corps, le son des instruments, les sujets mêmes et les intrigues des Comédies, tout y est plein de poison tout y respire l'impureté.
Et puisque la vertu cherche le jour, et désire d’être vue ; serions-nous méprisables d’étaler notre marchandise devant ceux qui n’en sauraient tirer que tout honneur et profit, et nous la louange de les servir, et nous évertuer de rappeler l’antiquité, imitant les plus capables d’entre les Grecs et les Romains ; comme un Euripide, un Néviusd, et dix mille autres qui charmaient les oreilles des spectateurs, par la naïve représentation de leurs comédies, trop plus agréables que les grands jeux Olympiques et Romains, où les plus ignorants pouvaient mériter le prix d’une insigne victoire. […] Nous imiterons sa naïveté, Messieurs, non pas sa cruauté ; repaissant vos oreilles de la plus douce harmonie qui puisse sortir du sacré concert des plus excellents Poètes, et vos yeux des plus agréables feintes que l’invention Comique ou Tragique puisse trouver pour vous complaire, et vous témoigner que notre plus ardent désir est de vous contenter, et laisser une opinion dedans vos cœurs que nous ayons essayé tous les moyens de nous déclarer vos très humbles serviteurs.
Je connais deux Tragédies, dont les Vers sont durs & raboteux, qui n’ont pas laissé d’avoir beaucoup de succès, sans parler du jeu des Acteurs ; la raison en est sans doute, qu’elles ont un grand intérêt, qu’elles renferment le terrible & le pathétique, & qu’une action qui intéresse fortement, fait éxcuser une versification lâche & traînante, ou qui blesse les oreilles par sa dureté. […] La fameuse Romance Jusques dans la moindre chose, a un de ses couplets, dont la construction, ou plutôt le sens, est tout-à-fait vicieux & ridicule ; c’est celui-ci : Qu’un son frappe mon oreille, J’écoute… & dans tous mes sens, Mon ame qui toujours veille, Croit entendre ses accens. […] Les oreilles délicates feront attention à la dureté, au sifflement de ce Vers, occasionnés par le redoublement des S. […] L’oreille est impitoyablement écorchée par le choc de tant de T. […] On éviterait avec soin dans la prose même, les terminaisons semblables qui sont dans cette strophe, & dont le fréquent retour est très-désagréable à l’oreille : outre cela, ces quatre Vers sont d’un prosaïque étonnant.
Comme l’harmonie d’un discours contribue beaucoup à nous y rendre attentifs, Aristote veut que l’imitation d’une Action soit faite dans un stile très-agréable à l’oreille, & cependant il ne met la Diction qu’à la quatriéme place. […] Dans un Spectacle fait pour enchanter les hommes, l’harmonie du discours doit enchanter leurs oreilles, ainsi celle de la Prose ne peut suffire. […] Il est vrai qu’ils comptent leurs syllabes, qu’en les arrangeant ils observent une certaine mesure, & que dans cet arrangement de syllabes comptées, se trouvent des repos & des rimes : cependant quand un bon Poëte les fait parler, leur langage est si naturel, qu’on n’y sent ni contrainte, ni artifice, quoique ce soit cet artifice qui produise le plaisir de l’oreille. […] Elie parlant en souverain aux Elémens ; les Cieux fermés par lui, & devenus d’airain, & la terre trois ans sans rosée & sans pluie ; à la voix d’Elisée les morts se ranimans. » Aucun mot n’est changé, l’ordre seul est changé, & l’oreille est contente d’une Prose noble : que les mêmes mots soient remis dans l’ordre de la Versification, une harmonie bien plus agréable contente l’oreille, L’impie Achab détruit, & de son sang trempé Le champ que par le meurtre il avoit usurpé : Près de ce champ fatal, &c. […] Malherbe qui avoit une oreille si délicate pour l’harmonie des Vers, n’avoit aucune oreille pour la Musique.