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117. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre VI. Des Actes ou des divisions nécessaires au Poème dramatique. » pp. 90-106

Les Grecs n’ont peut-être jamais entendu mettre des instans de repos dans leurs Pièces ; ils détournaient seulement l’attention du Spectateur sur des objets qui le délassaient sans le distraire entièrement. […] c’était toujours attacher le Spectateur ; car pouvait-il se dispenser de fixer sa vue sur l’objet de ses allarmes ou de sa joie, tandis qu’il s’offrait à ses regards ? […] Je ne doute pas que les Poètes dont je parle ne parviennent bientôt à ce point respectable, objet de l’ambition de tant d’Auteurs, qui s’éfforcent envain d’y atteindre, ou qui font naufrage au Port.

118. (1705) Sermon contre la comédie et le bal « I. Point. » pp. 178-200

De même que le bien est l’objet immédiat de la volonté, la vérité l’est de l’entendement, il est fait pour elle comme elle est faite pour lui, et il n’y a rien à quoi il se porte avec des transports plus vifs et plus impétueux. […] Si vous étiez élevé sur une haute montagne, les plus grosses villes vous paraîtraient à peine comme des hameaux, leurs Palais les plus superbes et les plus magnifiques comme des huttes et des cabanes, et les hommes des fourmis, si toutefois vous pouviez les apercevoir, tel est celui qui habite déjà dans le Ciel par l’ardeur de ses désirs ; toute la grandeur humaine n’est pour lui que bassesse, qu’un atome éclatant, un point qui en impose aux yeux par quelque apparence d’enflure, il a peine à comprendre l’excès de folie et l’ensorcellement des hommes qui se laissaient captiver et transporter par ces niaiseries, si quelque objet sollicite son cœur par quelque monstre de beauté pour s’en faire aimer, il le dépouille aussitôt de ce fard et de cette vaine apparence qui pourrait l’éblouir parce qu’il est homme, et lui dit vous n’êtes rien, vous n’avez qu’une faible lueur de cette lumière immense, de cette beauté originale qui est en Dieu, lui seul mérite d’occuper nos esprits et nos cœurs, adorons-le ; il lui tarde que nous soyons tous arrivés à ce jour qui sera le dernier de tous, où Dieu seul paraîtra grand, « exaltabitur Deus solus in die illa »Isai. […] Peut-on, (avouez-le de bonne foi, je n’en veux point d’autres témoins que vous) peut-on conserver des sentiments de piété dans un lieu où tous les objets ne sont propres qu’à détourner de Dieu, et attacher à la créature ? […] Je ne vous tairai pourtant pas que les Chrétiens d’aujourd’hui servant le même Dieu, attendant les mêmes récompenses, ne sont pas moins obligés de renoncer aux passions du siècle, de mortifier en eux les désirs déréglés du plaisir sensuel, d’éviter tous les objets qui peuvent blesser la pureté, ou les dissiper trop, que leurs yeux et leurs oreilles doivent être aussi chastes que leur langue à laquelle toutes les paroles folles et bouffonnes sont interditesEphes. 5.

119. (1765) Réflexions sur le théâtre, vol. 3 « Chapitre IV. Le Peuple doit-il aller à la Comédie ? » pp. 60-74

Ces grands politiques oublient-ils que ces intervalles de délassement, indépendamment du grand objet de la religion et de l’instruction des peuples, sont nécessaires à la santé du corps, qu’un travail continuel accable ; à la vigueur de l’esprit, que la continuité des occupations rend triste et sauvage : à la douceur de la société, dont ces moments de liberté et de plaisir resserrent les liens ; au travail lui-même, dont on se lasserait et se dégoûterait bientôt ? […] « C’est par là que Molière illustrant ses écrits, Peut-être de son art eût emporté le prix ; Si moins ami du peuple en ses doctes peintures, Il n’eût point fait souvent grimacer les figures, Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin, Et sans honte à Térence allié Tabarin. » M’écouterait-on, si je représentais que l’esprit d’irréligion, si funeste à tout le monde, et si commun au théâtre, se répand plus facilement dans le peuple, moins en garde contre la séduction, moins en état d’en repousser les traits et d’en démêler les pièges, lui dont la piété moins éclairée et plus simple confond aisément les objets, tient beaucoup plus à l’extérieur, et par conséquent peut être ébranlée à la moindre secousse, surtout quand on lui arraché les appuis nécessaires de l’instruction et des exercices de religion, en substituant le spectacle aux offices, et lui faisant oublier dans ses bouffonneries le peu qu’il sait de catéchisme, qu’on l’éblouit par le faste du spectacle, qu’on l’amollit par les attraits des Actrices, qu’on le dissipe par la science du langage ? […] l’ordre et la décence sont de fort minces objets. […] Autre objet bien intéressant pour le public, la population.

120. (1773) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre quinzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et littéraires, sur le théatre. — Chapitre V. Du Faste. » pp. 154-183

Les objets spirituels échappent à l’imagination & n’intéressent pas, mais les objets extérieurs excitent de fortes tentations & de violens ébranlemens ; l’ame accoutumée à juger de tout par comparaison, les prend pour la mesure de la grandeur, & se forme des idées plus élevées de ce qu’elles représentent. […] La pompe de ses décorations de ses habits, de son langage annoncent sa gloire, & exercent sa puissance ; les vices, les passions & leurs objets dans le point de vue le plus imposant, étendent son empire : quel contraste entre les deux Religions ! […] Tertulien en fait une autre application : la première leçon que Dieu donna à l’homme & à la femme n’eut que cet objet ; à peine ont-ils commis le péché, qu’il leur fait sentir la honte de la nudité du corps, ils en rougirent, & se couvrirent de feuilles, & la coquetterie au contraire expose des nudités, les relève par des couleurs assorties, afin de la rendre plus saillante & plus séduisante ; si l’on veut s’en dissimuler l’indécence en ignore-t-on le danger ? […] 11.° Il est permis d’aider ses sens, l’oreille dans la surdité, les yeux dans la vue foible, le palais dans le dégoût, & de leur plaire ; à l’ouïe par la musique, à la vue par la beauté des objets, aux goûts par des assaisonnemens, à l’odorat par des parfums ; pourquoi non pas par le fard, par les couleurs du visage par l’embonpoint ? […] Un livre aussi répandu & aussi plein d’objets de vice, ne peut qu’entretenir & répandre la corruption dans tout le Royaume.

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