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84. (1789) Lettre à un père de famille. Sur les petits spectacles de Paris pp. 3-46

Imaginez-vous de prétendues comédies sans unités, sans intérêt ; pour tout sel des obscénités claires, ou ce qu’on appelloit autrefois des quolibets et qui se nomme aujourd’hui des calembourgs ; figurez-vous des danses dénuées de caractère, et exécutées par de foibles enfans qui s’excédent, des pantomimes monstrueuses, mélanges de bouffonnerie et d’héroïque, dans lesquelles il y a toujours des duels, des coups de canon, des supplices, et souvent des hommes métamorphosés en chats, en chiens, en ours, en singes. […] Violento apprend que sa sœur est avec une dame françoise ; il veut voir la françoise qui paroît voilée, ce qui n’empêche pas Violento de concevoir pour elle une grande passion ; elle se retire néanmoins avec l’Olive, qu’elle nomme Finette ; au dernier acte, l’Olive, dans ses vrais habits, vient jouer des airs de mandoline, sous les fenêtres d’Inès, signal convenu pour qu’elle sorte en habit d’homme et soit enlevée. […] Je ne remonterai pas aux premières pièces, je ne vous parlerai point de la métamorphose allégorique de Cybèle dans la parodie d’Atys ; du caractere d’effronterie & du stile grivois que l’on donne dans les Animaux raisonnables à la Poule toujours nommée timide auparavant, de la Loterie du coq de village, de la rose que M. […] La maladie si justement nommée honteuse, y consume en secret la fleur des deux sexes ; ensorte que les trois quarts de ceux qui sont là pourroient impunément, je crois, au lieu d’employer nos formules ordinaires de politesse, user de la phrase Espagnole, comment va le mal vénérien ?

85. (1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — TROISIEME PARTIE. — Tragédies à conserver. » pp. 128-178

On dira peut-être que cette Tragédie (ou Comédie héroïque, ainsi que Corneille l’a nommée) aurait été mieux à sa place dans la classe des Pièces à corriger, ou même à rejetter ; puisqu’elle peut s’appeller le triomphe de la passion d’amour, c’est précisément par cette raison que j’ai voulu l’examiner de près ; et que, toutes réflexions faites, je l’ai mise au nombre de celles que je conserve. […] Martelli, Italien : c’est une étude digne d’un homme d’esprit et de goût, que de comparer à l’original Grec les imitations des deux Poètes que je viens de nommer, et d’examiner l’art avec lequel chacun d’eux a tourné, selon son génie, la Tragédie d’Euripide : pour moi j’admire également tous les deux ; car, en suivant des routes très différentes, chacun d’eux a réussi parfaitement, et a trouvé moyen d’ajouter des beautés nouvelles à l’original Grec : cet examen et les remarques qu’il ferait naître fourniraient aisément matière à une dissertation très curieuse, et surtout utile pour les Poètes ; mais je reviens à mon sujet. […] Mais je répondrais en premier lieu que, dans le nombre de ces Tragédies que je conserve, je n’ai pas prétendu qu’elles fussent toutes dignes d’être conservées en leur entier ; je sais que la plupart de ces Pièces pourraient être placées dans la classe de celles qui ont besoin d’être corrigées ; cependant, si on venait à les représenter telles qu’elles sont sans aucun changement, je me flatte qu’on n’y trouverait rien de contraire aux bonnes mœurs, ni qui fût de mauvais exemple : et, quant aux petites bagatelles qui mériteraient ou d’être corrigées, ou d’être supprimées totalement, je m’en rapporte à ceux qui seront nommés, en cas que mon projet réussisse, pour examiner les Pièces du Théâtre de la réforme plus sévèrement que je n’ai prétendu le faire.

86. (1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome II « De l’Art du Théâtre. — Chapitre premier. De la Musique. » pp. 125-183

Ainsi le secret de la musique instrumentale consiste à éxciter un certain bruit, qu’on diminue, qu’on grossit avec art, & qu’on fait même quelquefois cesser tout-à-fait : c’est donc du mêlange singulier du bruit & du silence qu’on voit naître ce que nous nommons Harmonie. […] Un nommé le Maire, Musicien du dernier Siècle, ajouta le Si. […] On raconte pourtant39 que sous le règne de Henri III, un fameux Musicien nommé Claudin, mit tellement en fureur un jeune Seigneur de la Cour en lui jouant un air Phrigien, que sans respecter la présence du Roi, il tira son épée & voulait occire tout le monde. […] Les gens sensés chez les Grecs, (ainsi que le prouve particulièrement le passage de Plutarque que je viens de citer,) trouvaient qu’une musique trop tendre, trop éfféminée, était très-pernicieuse ; on ne pouvait même s’empêcher de détester à Athènes un nommé Phrynis, qui amolit, dit-on, la musique ancienne. […] Plutarque rapporte qu’Isménias, fameux joueur de flûte, le même peut-être qu’on nomma Ambassadeur de Perse, fut fait prisonnier de guerre par Athan, roi des Scytes, & qu’il se mit aussi-tôt à jouer de sa flûte devant ce Prince, se flattant de se procurer un sort heureux : le fameux Isménias se trompa dans son attente.

87. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE X. Des six parties de la Tragédie, suivant Aristote. Examen de ces six parties dans Athalie. » pp. 260-315

Ce même Grand-Prêtre que rien ne peut troubler, qui parle quelquefois avec une espece de dureté à Abner, & à Josabet, & qui ne caresse jamais l’Enfant, se trouble pour lui, s’attendrit & pleure, quand il prévoit les dangers où il l’expose en le couronnant : O mon Fils, de ce nom j’ose encore vous nommer, Souffrez cette tendresse, & pardonnez aux larmes, Que m’arrachent pour vous de trop justes allarmes, &c. […] Joas parle souvent de Dieu, & ne le nomme jamais l’Eternel, comme il est nommé par Abner dans le premier Vers de sa Piéce : ce stile n’eût pas été celui d’un Enfant. […] Lorsqu’au dernier Acte le rideau se tire, l’Enfant paroît sur un Trône auprès de sa Nourrice : Josabet, son Fils, & ses Filles sont au pied du Trône, les Levites les armes à la main l’environnent, tout cet appareil a quelque chose de majestueux, qui fait plaisir à un Spectateur, & cette raison me persuade encore ce que j’ai avancé plus haut, que si cette Piéce étoit représentée gratis devant notre Populace, comme les Tragédies Grecques devant celle d’Athenes, elle y seroit attentive, & peut-être très-émue, sans songer à l’harmonie du langage, qui n’auroit rien que de très-intelligible pour elle, malgré ce qu’on nomme la contrainte des Vers. […] Ces Auteurs qu’il nomme, sont Lemene, Manfredi, Maffei, Monsignor Bernini, & l’Abbé Metastasio, dont il rapporte quelques petits Vers destinés aux Ariettes.

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