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64. (1752) Traité sur la poésie dramatique « Traité sur la poésie dramatique —  CHAPITRE VIII. Dans quelle Nation la Poësie Dramatique Moderne fit-elle les plus heureux progrès ? » pp. 203-230

Il est même fort naturel que nos grands Poëtes ne reçoivent pas chez les Etrangers, tous les honneurs qu’ils méritent. […] Depuis que les Espagnols ont pris un style plus naturel, ils ne nous méprisent point. […] Nous nous égarâmes tous, & notre égarement fut si grand, que nous ignorâmes jusqu’à cette distinction si naturelle, que les Yncas même, comme je l’ai dit dans le premier Chapitre, savoient faire entre le Genre sérieux & le bouffon, le Tragique, & le Comique. […] L’ancien Caton regarda avec un sage mépris Rome apprenant les Arts de cette Grece qu’elle avoit vaincue ; notre Théâtre a eu trop longtems l’obligation de sa durée à des Piéces transportées de la France, ou à des Chants Italiens ; osez vous-mêmes penser : & pour affermir votre Théâtre, livrez-vous à votre chaleur naturelle, Dare to have sense your selves, assert the stage.

65. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre VII. Troisieme suite du Fard. » pp. 171-194

Un charme naturel donne du dégoût pour tout art, & toute industrie : en elle seule l’art le plus délicat & le mieux entendu, ne sauroit égaler la nature ; On la voit quinze jours de suite, coëffée de différentes manieres, sans pouvoir dire celle qui va mieux, celles qui défont toutes les autres femmes, la parent. Tout est également bien sur sa tête, la propreté qui coute tant aux autres femmes, lui est naturelle, elle ne porte jamais d’odeur, quoiqu’elle les aime beaucoup , &c. […] C’est une pensée communs chez les peres, d’après Tertulien & Saint Cyprien, que le fard fait injure à Dieu, que c’est vouloir réformer son ouvrage, y ajouter, & l’embellir, comme un apprentif qui oseroit toucher aux tableaux d’Apelle, que ce qui est naturel est l’ouvrage de Dieu, & ce qui est artificiel l’ouvrage du démon : Quod nascitur, opus Dei est ; quod fingitur, diaboli. […] Dieu bénit un travail honête, par l’accroissement de ces biens naturels ; mais il faut vous contenter de la moisson que Dieu fait naître, & ne pas vouloir forcer la providence par des mensonges, des masques, des entreprises criminelles. […] Le sens le plus naturel qui se présente d’abord, c’est que les moindres choses plaisent dans ce qu’on aime, jusqu’à un cheveu ; mais aussi les moindres défauts y déplaisent, en ternissant la beauté.

66. (1759) L.-H. Dancourt, arlequin de Berlin, à M. J.-J. Rousseau, citoyen de Genève « CHAPITRE II. De la Tragédie. » pp. 65-91

Que présumer de là, sinon que si ces libertins et ces fils dénaturés venaient souvent aux spectacles, s’ils prenaient plaisir pendant deux heures par jour à entendre le langage de la Vertu, si l’on pouvait les habituer à venir souvent se convaincre de ses avantages dans nos Tragédies, l’amour naturel que vous leur supposez pour la Vertu deviendrait plus efficace. « On aime la Vertu » dites-vous ; je le nie : si on l’aimait, on la suivrait, rien n’est plus simple et plus naturel ; mais, ajoutez-vous, « on ne l’aime que dans les autres »bh  ; est-ce donc là l’aimer ? […] » « La source de l’intérêt qui nous attache à ce qui est honnête et nous inspire de l’aversion pour le mal, est en nous et non dans les Pièces. […] L’amour du beau est un sentiment aussi naturel au cœur humain que l’amour de soi-même. »bm La belle découverte que vous faites là ! […] Cela, je crois, rendrait plus naturelle et plus conséquente la promptitude avec laquelle le faux Prophète passe des remords à la réflexion scélérate et politique. […] Pour fortifier un jeune homme dans ses exercices, pour le former et lui procurer la vigueur nécessaire, on doit lui proposer un but auquel il ne semble pas naturel qu’il puisse atteindre, afin qu’en multipliant ses efforts et ses tentatives, il acquière la force et l’adresse nécessaires pour y parvenir dans la suite.

67. (1768) Réflexions morales, politiques, historiques et littéraires sur le théatre. Livre douzieme « Réflexions morales, politiques, historiques, et litteraires, sur le théatre. — Chapitre III.  » pp. 68-96

Cupidon instruit de ce malheur, saute par la fenêtre de la chambre où sa mere l’avoit enfermée, & vole à tire d’aîle, à sa chere Psiché, la guerit subitement, efface tout ce fard, & lui rend sa beauté naturelle. […] Moquez-vous des Philtres amoureux, du vermillon & de la ceruse, vos graces naturelles l’emportent sur tout : Non vos graminibus, nec misto credite succo. […] Le fard ne rétablit jamais les couleurs naturelles qu’on a perdues, ou qu’il a fait perdre. […] Ce principe de la morale naturelle a été connu de tous les âges, de tous les sexes, de tous les états, des poëtes même qui s’en sont joués par leurs obscénités. […] Leur ton de voix, & leur demarche sont empruntées, elles se composent, elles se recherchent, régardent dans un Miroir si elles s’éloignent assez de leur naturel.

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