Outre que la représentation, pour nous renfermer dans le Théatre, en mettant sous les yeux tous les ressorts, toutes les machines d’un Drame, affecte plus distinctement que la lecture ; il nous semble que le public est, dans son état naturel, éclairé par un guide plus fidéle que celui des Gens de Lettres. […] Ils abandonnèrent les routes battues ; préférèrent le plus piquant au plus agréable ; le mélange confus des teintes, aux charmes d’un coloris naturel, la multitude des incidens, au doux prestige d’une action simple ; enfin, le merveilleux au beau. […] Mais ils ont des moyens moins pénibles ; il est naturel de les employer.
Les Modernes nous ont présenté sur la Scène les Acteurs, tels que la nature les a faits, et non défigurés par les cothurnes, par les masques et même par la voix, dont le son n’était jamais naturel sur les Théâtres d’Athènes et de Rome ; car il fallait la proportionner à la figure agrandie des personnages, et à la distance des Spectateurs. Ajoutons que le Théâtre moderne mérite toute préférence, par la commodité qu’il procure aux Acteurs, aussi bien qu’aux Spectateurs : les premiers peuvent exprimer les sentiments et les passions dans les tons convenables et naturels : les seconds sont à portée de concevoir toute la force et toute la finesse de l’expression ; puisque les Théâtres modernes ne sont pas, à beaucoup près, si vastes que les Théâtres des Anciens, ni exposés au grand air, comme ils l’étaient.
Un Peintre qui habillerait un Monarque en Scaramouche, ou un singe en Monarque, peindrait-il au naturel ? […] Est ce là le portrait au naturel d’une fille de condition et d’une riche héritière ? […] Il faut que son langage pour être naturel, soit toujours étudié, fardé, empesé. […] Ces règles sont établies pour cacher la fiction, pour faire qu’une Pièce Dramatique paraisse une action au naturel, et lui donner l’air de la réalité. […] Il n’est point naturel de rechercher ce qui ne nous affectionne nullement, et ce qui n’a aucun goût pour nous.
La malice naturelle aux hommes, est le principe de la Comédie : nous voyons les défauts de nos semblables avec une complaisance mêlée de mépris, lorsque ces défauts ne sont ni assez affligeans pour exciter la compassion, ni assez révoltans pour donner de la haîne, ni assez dangereux pour inspirer de l’effroi. […] Telle est la source du Comique Anglais, d’ailleurs plus simple, plus naturel, plus philosophique que les deux autres, & dans le quel la vraisemblance est rigoureusement observée, aux dépens même de la pudeur. […] Georges-Dandin, où sont peintes avec tant de… sagesse [J’avais peine à le lire] les mœurs les plus licencieuses, est un chef-d’œuvre de naturel & d’intrigue ; & ce n’est pas la faute de Molière si le sot orgueil, plus fort que ses leçons, perpétue encore l’alliance des Dandins avec les Sotenvilles. […] Malheur à ceux pour qui ce principe est une vérité de sentiment : mais si en effet le fond du naturel est incorrigible, du-moins le dehors ne l’est pas.