Dans un état florissant, les progrès du luxe & des Spectacles sont presqu’aussi essentiels, que ceux de la gloire & de la puissance de la Nation. […] Ce motif n’a rien inspiré de grand ; d’ailleurs, les suffrages de la Nation, ces grands ressorts du génie, n’ont accueilli ces essais, qu’en raison de leur durée, dans la célébration des jeux. […] Rome qui a emprunté des Grecs, tant de Loix sages, tant d’usages utiles, a négligé celui qui a élevé la Grèce au-dessus de toutes les autres Nations.
On vit toujours des mimes errants de province en province, de nation en nation, porter la semence de cette mauvaise plante que le christianisme avait arrachée : elle se conserva presque sans interruption en Italie. […] Il n’y avait point alors d’autres divertissements publics que ces fêtes nationales, qui étaient données à l’occasion d’événements intéressants, auxquelles les grands de la nation étaient invités.
Le gouvernement sage des Nations modernes n’a jamais souffert sur nos Théâtres des Drames licencieux comme ceux d’Aristophane & de ses Prédécesseurs ; ni de Danses comme ces Pyrrhiques obscènes, si courues des Romains. […] A la bonne heure : admettons le plaisir comme délassement nécessaire ; les danses & la Musique comme procurant ce délassement : les Drames Français, comme renfermant toujours quelque leçon utile, comme éclairant l’esprit, formant le cœur, nous apprenant à nous tenir sur nos gardes ; le Théâtre de la Nation comme une Ecole du monde, où les jeunes-gens achèveront leur éducation avec moins de danger qu’au milieu de bien des cercles. […] Que les Grecs ont de ce côté-là surpassé toutes les Nations & qu’il serait glorieux pour nous de les imiter ! […] Ignore-t-on, que dans un Pays tel que le nôtre, où elles sont réellement la moitié de la Nation, puisqu’elles y sont admises au gouvernement public & particulier des familles ; qu’elles y font l’ornement de la Cour ; l’embellissement des Villes ; que leurs atours & leurs charmes augmentent la pompe des plus augustes cérémonies ; ignore-t-on, dis-je, qu’on ne peut les exclure d’aucun divertissement, soit comme Actrices, soit comme Spectatrices, sans s’exposer à le voir bientôt deserter par les hommes ? […] On peut en dire autant à l’égard des Athéniens ; & quoique, chez l’une & l’autre Nation, les Drames n’aient paru dans leur plus grande gloire, que lors d’une corruption de mœurs presque générale, comme on ne connaît la source, qui n’est pas dans les Spectacles, je me dispenserai de les justifier.
Il serait donc à desirer que nos jeunes Auteurs, choisissent desormais plus souvent leurs sujets dans l’histoire moderne de l’Europe ; & sur-tout, l’on voudrait leur voir célébrer les Héros de la Nation. […] Telle fut la source où puisèrent les Tragiques Grecs ; & tel est aussi le moyen de rendre la Tragédie d’une utilité aussi générale pour une Nation, que la bonne Comédie. […] On ne permettra de monter sur le Théâtre de la Nation, qu’aux jeunes-gens dont l’éducation sera achevée. […] Les jeunes-gens destinés au Comédisme, ne négligeront pas cette partie essencielle, & le talent de la Danse sera proposé sur les Théâtres de la Nation, comme un modèle pour toute la jeunesse. […] Mais, cette médiocrité de talent existât-elle, le Théâtre de la Nation n’en serait pas moins fréquenté.