qu’il ne souffre rien d’outré ny de relâché dans la Morale de Jesus-Christ : & que sans rien perdre de sa prudence & de sa douceur, il lance à propos ses Censures, pour conserver la Discipline de l’Eglise Gallicane dans la vigueur des anciens Canons. […] Ce qui sans doute diminuëroit l’autorité de cet excellent ouvrage, & ôteroit tout le poids aux grandes véritez qu’il y enseigne, en faisant croire qu’il y auroit débité une morale outrée, aussi éloignée de la douceur de l’Evangile de Jesus-Christ, qu’approchante de la rigueur des superstitions de Montan.
Quelle morale horrible ! […] L’Auteur, charmé de son chef-d’œuvre de morale, de religion & de sagesse, en fit d’abord présent au public dans les journaux, & pour le transmettre à la postérité l’a depuis revu, corrigé & augmenté, & l’a fait imprimer dans ses Essais historiques, où on n’iroit pas les chercher, à moins qu’on ne prenne ses Essais pour un ouvrage comique avec lequel sa lettre peut très-bien figurer.
Ainsi le cœur s’accoutume insensiblement à l’amour : Une jeune fille souhaite de trouver un Amant aussi fidèle que celui qu’elle a vu sur le Théâtre ; elle trouve du plaisir à entretenir un commerce aussi tendre que celui-là ; elle voudrait être à la place d’une Amante si fort aimée ; elle ne trouve point qu’il y ait de mal à écouter un homme qui parle d’amour, puisqu’une Princesse si fière le souffre bien, et tout ce que la Morale Chrétienne lui avait persuadé de contraire à cela, s’évanouit bientôt dans son cœur par l’exemple qu’on lui propose sur le Théâtre. […] Ce Philosophe aurait été un étrange Casuiste, et jamais on ne l’eût accusé d’une morale relâchée.
Pour l’éclaircissement de cette vérité, et de plusieurs autres de pareille nature, il faut se souvenir qu’il y a deux sortes de bontés dans les choses d’ici-bas ; l’une qu’on appelle physique ou naturelle, parce qu’elle regarde la nature de chaque chose ; l’autre morale, qui concerne les mœurs et les actions des hommes. La bonté naturelle n’est pas d’une production si difficile que la morale : Peu de causes y sont nécessaires, et comme elles agissent d’un mouvement extrêmement réglé, les défectuosités n’y sont pas bien ordinaires ; de cent petits animaux qui viennent au monde, il n’y en a souvent pas un qui soit monstrueux : Il n’y faut point une vigilance particulière pour observer les temps, les lieux, ou les personnes. […] Il n’en est pas de même de la bonté morale, elle est si tendre que le moindre incident la blesse : Tant de choses lui font besoin, que c’est un petit miracle quand toutes s’y retrouvent. […] Le Bal et la Danse ont tant de rapports et de dispositions au péché, que les saints Pères de l’Eglise qui sont nos Oracles et les plus pures sources de la Morale Chrétienne ne nous en ont parlé que comme d’une invention diabolique, et comme d’un exercice où le Diable fait sa grande moisson. […] Si l’Eglise qui ne peut pécher dans la morale en ce qu’elle ordonne, non plus que dans la Foi, n’a pas voulu faire un crime de toute sorte de chasse, même à ses domestiques qui doivent servir à l’Autel ?