Corneille, par l’élévation de son génie, flatta l’orgueil, nourrit la fierté, mit dans les mains des hommes le poignard de la vengeance : heureux qu’il n’ait pas tourné du côté de l’amour l’enthousiasme de ses pensées & l’énergie de son style ! […] Encore même n’y mettons-nous pas ce tardif & léger préservatif, toujours avec le cortège des graces, les pieges des sentimens, l’amorce de la parure, l’invitation de l’éloge. […] On frémit à l’idée de l’arène des Romains, où les gladiateurs, tantôt corps à corps, tantôt troupe contre troupe, faisoient couler des ruisseaux de sang, tant les barbares Césars faisoient peu de cas de la vie des hommes ; mettons-nous les ames à plus haut prix ? […] On peut, dit-il, exposer sur la scène des exemples de toutes les vertus & la censure de tous les vices, les combiner pour les contraster, & mettre dans la bouche des Acteurs toute sorte de bons principes ; qui en doute ? […] Un mot, une lecture, un coup d’œil, mettent en danger la vertu la plus affermie, & l’assemblage de tout ce que la passion a de plus vif, & l’art de plus rafiné, ne sera point un danger pour des ames nourries dans la mollesse & le péché !
Pourquoi Diantre aussi, Messieurs, vous avisez-vous de mettre d’honnêtes femmes au Théâtre ? Si vous aviez le goût grec, vous n’y mettriez que des Courtisanes, des Parasites, des Ganymèdes et des Antinoüs : convient-il donc à de plats modernes d’oser mieux faire que les Anciens et de ménager les oreilles chastes ? […] Je sais bien que vous pourriez, pour justifier votre opinion, nous mettre au niveau des femmes par rapport à l’éducation : il vous serait facile de prouver que celle qu’on nous donne ne vaut guère mieux que celle que les femmes reçoivent. […] Passons maintenant à un trait qui vous met en contradiction avec vous-même. […] Il n’est donc pas si déplacé que vous feignez de le croire de mettre la raison dans la bouche des Dames, et le petit Jean de Saintréef a raison d’ajouter à son repas l’agrément de le voir préparé par une belle main.
Voudrait-il renouveler le système du philosophe Italien Bernardin Teletius, qui ne donne qu'une âme à tout le genre animal, dans son livre que le concile de Trente a mis au nombre des livres défendus, intitulé, Quod universum animal ab unica anima substantia gubernetur. […] » Molière aurait sûrement mis ces jolies expressions dans la bouche de ses Précieuses, et un Abbé commandataire de ruelle s'en applaudirait. […] Mais remontons au principe : la vraie indécence est de mettre les choses saintes sur le théâtre ; il n'est pas fait pour elles, il ne peut que les profaner, les défigurer, faire une religion à sa mode, détruire toute vraie religion. […] Veut-on, pour charger le tableau, mettre une dose de noir de plus sur la palette, faut-il des diables, des furies, des ombres, des spectres, des enchanteurs, des fées, on en trouve à chaque pas. […] On pourrait tout mettre sur le théâtre, pourvu qu'il fût bien joué ; mais on aime l'objet plus que la ressemblance, on n'aime la ressemblance que parce qu'on aime l'objet.
ce n’est pas non plus pour exciter l’indulgence du Public que je mets une Préface à la tête de cet Ouvrage : non, je n’ignore pas que j’en aurais besoin : jeune encore, c’est le premier que j’ai osé livrer à l’Imprimeur ; que de raisons ! […] On verra dans le cours de cet Ouvrage que l’envie des succès d’autrui n’est pas l’éguillon qui m’a guidé : si ma fortune était moins bornée, la preuve serait aisé à donner : mon bien serait celui des enfans des arts ; au surplus, j’ai pour garands ceux qui me connaissent : souvent avili par des gens méprisables, c’est l’ordinaire, en état de leur faire payer cher leurs infâmes menées, j’en ai dédaigné les moyens, on le sait… un mot m’eut mis à même d’en avoir satisfaction, Mais me venger est au-dessous de moi.