Nous avons seulement voulu faire sentir le caractere des amours du théatre, l’aveuglement & le malheur de ceux qui s’y livrent, même des plus grands Princes. […] Le détail de tant de foiblesses & de malheurs, suite ordinaire du vice, qui ne peut qu’affliger un Chrétien, lui montre qu’il doit prendre de justes mesures pour s’en préserver par la fuite des occasions, dont le théatre est une des plus communes & des plus prochaines. […] Le détail de religion n’est guere du goût de ce siecle : peut-on ne pas gêmir que ce siecle ait eu le malheur de perdre ce goût ? […] Tout cela est-il bien propre à le faire détester, comme le plus grand des malheurs ?
Mais tous ces malheurs ont été glorieusement séparés par la brillante association de la comédie Françoise avec l’Académie Françoise, qui porta au comble la gloire des deux troupes le 30 mars 1732. […] Dans la tragédie il est la source des malheurs des grands. […] Ni la politesse, ni les plus sages leçons, ni les plus grands intérêts, ni les plus nobles sentimens, ni les plus vives lumieres ne sont de sûrs garans contre un si grand désordre, quand on a la témérité de s’y exposer & le malheur de le goûter. […] Tout le public le juge de même, à l’exception de Voltaire, à qui l’Auteur a envoyé sa piece, & qui lui a répondu en vers fort médiocres : J’ai lu votre aimable Rosiere, malheur au dur attrabilaire qui lui reproche un doux baiser.
Pourquoi n’en verserions-nous pas d’attendrissement, même pour des malheurs imaginaires ? […] « Alors Jésus parla au peuple et à ses disciples, en leur disant : « Les scribes et les pharisiens se sont assis sur la chaire de Moïse. » « Ils lient des fardeaux pesants et insupportables, et les mettent sur les épaules des hommes, et ils ne veulent pas les remuer du bout du doigt. » « Ils aiment les premières places dans les festins, et les premières chaires dans les synagogues. » « Ils aiment qu’on les salue dans les places publiques, et que les hommes les appellent rabbin ou docteurs. » « Mais malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez aux hommes le royaume des cieux ; car vous n’y entrez pas vous-mêmes, et vous vous opposez encore à ceux qui désirent d’y entrer. » « Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites parce que, sous prétexte de vos longues prières, vous dévorez les maisons des veuves : c’est pour cela que vous recevrez un jugement plus rigoureux1. » « Malheur enfin à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et, après qu’il l’est devenu, vous le rendez digne de l’enfer deux fois plus que vous !.
Car la force du plaisir est si grande, qu’elle entraîne dans l’occasion les ignorants, et porte les autres à trahir leur propre conscience : double malheur, qui n’arrive que trop souvent. […] S’il est donc vrai de dire avec le Prophète : malheur à celui qui entre dans quelque assemblée que ce soit des impies, qui s’arrête dans les différentes voies des pécheurs, et qui est assis dans la chaire de corruption ; soyons bien persuadés que ces paroles doivent s’entendre dans un sens général, quoiqu’elles puissent être aussi interprétées dans un sens plus particulier. […] Ils s’attristent du malheur d’autrui ; ils se réjouissent du bonheur d’autrui : tout ce qu’ils désirent, tout ce qu’ils maudissent ne les regarde point. […] J’en conviens donc ; mais convenez aussi qu’un homme de bien ne peut licitement se complaire dans le supplice d’un méchant homme : puisqu’il doit plutôt s’attrister de ce qu’un homme semblable à lui, a eu le malheur de devenir assez coupable, pour mériter d’être si rigoureusement puni. […] C’est alors que les acteurs de la tragédie pousseront dans l’excès de leur malheur, des cris plus lamentables et plus éclatants que ceux dont ils faisaient retentir autrefois le théâtre.