Le malheur vient de ce qu’on s’est accoutumé à fréquenter les Spectacles. […] qu’importe à l’humanité, mes Frères, qu’on pleure la mort de César ; qu’on s’afflige des malheurs d’Iphigénie ; qu’on plaigne le sort d’Andromaque ; qu’on gémisse sur des infortunes Romanesques, si l’on est insensible aux maux de son prochain ; si, au sortir même du Théâtre, on brusque les pauvres au lieu de les assister ; si l’on envisage d’un œil sec les misères qui les environnent et les plaies qui les couvrent ? […] Que résulte-t-il de ces maux, si ce n’est des malheurs plus grands encore ? […] Mais, ne permettez pas, Seigneur, que ces malheurs se réalisent.
Ses malheurs partent d’une source si respectable ! […] Cet artifice a des beautés ; mais le malheur est que ces poignards sont donnés à contretems, comme on a pu le voir dans Alzaïde.
Si l’abus prévaut, c’est un malheur dont il faut gémir. […] Par malheur la plupart des pieces n’inspirent que la fourberie, les intrigues, les fripponneries, pour réussir à satisfaire la passion. […] Il faut présumer le bien ; il s’est quelquefois trouvé des Comédiens qui par des dévotions fréquentes ont tâché de racheter devant Dieu le malheur de leur profession.
Les autres passions ne sont point si engageantes ; la tendresse d’un Père envers ses enfants, ou d’un frère envers son frère, ne saurait produire que des sentiments vertueux : la haine, l’ambition, la vengeance, la jalousie sont des vices qu’on peut voir dans toute leur force et dans toute leur étendue, puisque naturellement on a de l’horreur pour le dérèglement de ces passions ; on s’y porte avec moins d’ardeur, et jamais on n’est pour les personnages qui soutiennent ces caractères ; on les blâme toujours, et il arrive aussi presque toujours qu’ils sont malheureux et qu’on se réjouit de leur malheur. […] Œdipe fait bien plus de compassion dans Sophocle qu’Egisthe : on est touché de voir le premier tomber dans un malheur effroyable, parce qu’il semble n’avoir point mérité ce malheur ; au contraire la mort d’Egisthe ne fait nulle pitié, parce qu’il s’est lui-même attiré sa perte par son amour. […] Dans la dernière Sophonisbe w qui a paru sur le Théâtre, on n’est point touché du malheur de Syphax, parce que ce Prince hasarde sa réputation, son Etat, et sa vie pour plaire à sa femme, dont il est amoureux ; on est fort touché au contraire du malheur de Sophonisbe, qui ne meurt que parce qu’elle aime la gloire, et qu’elle ne veut pas survivre à la perte de sa liberté.