J’oserais dire que l’établissement d’un Théâtre en Langue Russe, mais d’un Théâtre tel que celui dont je présente le Plan à Votre Majesté Impériale, est une entreprise digne de l’Illustre Fille de Pierre le Grand ; puisque par là elle ferait goûter de bonne heure à la jeunesse une morale sensée, propre à former de sages Politiques, d’intrépides Soldats, de bons Citoyens, des Magistrats intègres et zélés pour l’Etat.
On n’est pas instruit de même sur la Comédie, parce qu’elle ne fut pas d’abord recherchée comme la Tragédie, & que le Magistrat ne commença que fort tard à donner le Chœur aux Poëtes Comiques, c’est-à-dire, à accepter leurs Piéces pour être représentées : c’étoit ce qu’on appelloit donner le Chœur. […] Ce n’étoit pas non plus, les meilleures Piéces qu’on choisissoit toujours pour être jouées, parce que les Magistrats chargés des frais du spectacle, achettoient les Piéces, & que quand ils étoient avares, ils achettoient quelquefois une Piéce médiocre, que le Poëte donnoit à meilleur marché. Le Magistrat qui regloit tout le détail de ces Jeux s’appelloit Chorege, & tout paroissoit sacré dans ces Jeux, parce qu’ils se représentoient dans les Fêtes, & que Bacchus y présidoit. […] Quels devoient être les Magistrats d’une Ville dont la plus sérieuse attention étoit celle de procurer au Peuple l’amusement des Spectacles, & qui faisoient plus de cas d’un bon Comédien, que d’un bon Général d’Armées !
On ajoute une proposition assez judicieuse qui est, que comme l’on examine toute sorte de Livres avant que de permettre de les imprimer, et de les communiquer au public, il faudrait qu’il y eût un Magistrat qui examinât, ou qui fît examiner par Gens experts, les Pièces que l’on voudrait faire jouer devant le peuple, afin que leur représentation ne pût nuire à personne : Mais des Censeurs inexorables diront que d’ériger une Académie pour les Comédiens, ce serait autoriser leur Profession, comme si elle était fort nécessaire au public ; Et pour ce qui est du reste, qu’au lieu de donner la peine à un Magistrat d’examiner les Comédies dignes d’être représentées, il vaudrait mieux les condamner entièrement ; Que par ce moyen on ne craindrait ni brigue, ni surprise, et l’on ne se mettrait point au hasard d’en recevoir du dommage.
Elle recevoit tous les ornemens que la magnificence des Magistrats vouloient faire ; & tantost elle faisoit paroistre de beaux morceaux d’Architecture, de Perspective ou de Païsage. […] Cette place fut occupée par les personnes de qualité, comme Magistrats, Senateurs, & ensuite par les Chevaliers, les Dames, les Vestales & autres personnes, selon le temps. […] & ny les Magistrats ny le Peuple ne manquoient pas de faire dãs certains temps les Instãces necessaires, soit pour les remetre sur pied, sot pour lesrendre plus magnifiques.