L’illustre Chancelier d’Aguesseau pensoit bien différamment, dans son discours sur l’imitation par rapport à la tragédie ; il parle fort au long contre les spectacles, il dit entr’autres ces belles paroles, les caractères, les sentiments, les pensées, les expressions des personnages mis sur la scéne, tout conspire à reveiller, à réflecter les inclinations que nous avons pour la gloire, les richesses, l’amour, la veangeance, qui sont les mobiles du cœur humain ; les passions feintes que nous y voyons nous plaisent, par la même raison que les réelles, parce qu’elles en mettent de réelles dans notre ame, ou parce qu’elles nous rappellent celles que nous avons éprouvées : Rapiebant me spectacula plena miseriarum mearum. […] L’auteur dit, Dieu permit cette longue prison, pour faire mieux connoître la piété extraordinaire à laquelle Jean de Vert, qui avec d’autres officiers étrangers, y étoit prisonnier, rendit un témoignage singulier ; car le Cardinal de Richelieu l’ayant invité à un ballet magnifique, de sa composition, & ce général ayant vu au ballet un Evêque qui en faisoit les honneurs, dit publiquement, Ce qui m’a le plus surpris en France, c’est d’y voir les Saints en prison, & les Evêques à la comédie. […] Linguet crut pouvoir hazarder une nouvelle traduction du théatre Espagnol, il a mérité de réussir, sa traduction est bien faite, & il traite judicieusement plusieurs questions dramatiques ; il y a quelques pieces fort longues, (c’est le goût des Castillans) prises de Lopez de Vega, de Calderon, de Guillaume Castro & de quelques autres moins célebres : Lopez de Vega est comme Hardi parmi nous, qui composa huit cents pieces de théatre, il en a donné plus de deux mille ; on appelle ses œuvres, par une fanfaronnade de Castille, l’Océan Dramatique, & il est impossible qu’un si grand nombre de poëmes soient bons ; mais ils sont meilleurs que ceux de notre Hardi. […] Les pieces Espagnoles sont très longues, très-remplies très-intriguées, c’est un fond inépuisable, dont il est aisé de tirer parti ; nos maîtres l’ont fait cent fois sans s’en venter, & n’ont eu garde de faire connoître les mines abondantes où ils trouvoient leurs trésors.
Il est certain que les personnes les plus vertueuses, durcies, pour ainsi dire, dans les plus longs travaux de la pénitence, aguerries après tant de combats, et accoutumées à vaincre, n’oseraient s’exposer à un tel péril de crainte d’être vaincues. […] A peine la solitude la plus retirée met-elle à l’abri de la passion ; l’iniquité naît, pour ainsi dire, d’elle-même partout ; le tentateur attaque les héros chrétiens jusques dans le lieu saint ; les longues austérités ne désarmant pas l’ennemi, il faut être éternellement en garde contre son propre cœur, il faut veiller, fuir, prier sans cesse, et encore l’assurance n’est pas entière.
Enfin sur ses vieux jours il s’avisa de se marier, prit une vieille femme de près de soixante ans, d’un bon caractere, avec qui il vêcut dans une parfaite intelligence ; il la soigna avec affection & lui donna tous les secours que lui permettoit sa modique fortune, dans les longues & fâcheuses infirmités, jusqu’à sa mort. […] Le Peuple fut long temps par vous-même abusé ; Il s’est lassé du sceptre, & le sceptre est brisé. […] Ce poëme didactique, long, difficile, métaphysique, d’un style sec, roide, dur & souvent très-poëtique, ne pouvoit être du goût d’un homme toujours pleins de bouffonneries.
C’est ce que je pense, parce que je suis persuadé que dans les Langues où l’on ne se régle pas sur la quantité breve ou longue des Syllabes, il n’y a point de Vers sans Rimes ; & la Beauté de ces Vers, quand ils sont faits par un bon Poëte (les autres n’en devroient point faire) est que la Rime ne fait jamais rien dire, & se présente si naturellement, que le discours quoiqu’enchaîné dir legato a toute la liberté d’un discours qui ne l’est pas, & paroît dir sciolto. […] C’est ainsi qu’il parle dans Corneille : & Longepierre lui fait dire, Oui, transporté d’amour & voyant ce que j’aime J’oublie & mon devoir, & Médée, & moi-même ; Je m’enyvre à longs traits d’un aimable poison : L’Amour devient alors ma suprême raison. […] Aux Romans de Chevalerie succéderent ces longs Romans, qui moins raisonnables que l’Astrée, ne parloient comme l’Astrée que d’amour, & contenoient les galanteries & les billets doux des Heros les plus graves de l’Antiquité.